J'étais presque bien partie pour avoir une p'tite vie calme et tranquille. Ch'tite dernière d'une famille de la petite noblesse, un frère, une soeur, des parents et des poupées en veux-tu en voilà à qui je pouvais librement arracher les têtes. Du haut de mes sept ans, il ne me fallait rien de plus pour être heureuse. Oui mais voilà : dans « j'étais presque bien partie » il y a « presque ». Et, ah, ce presque ! C'est un fourbe, celui-là !  C'est qu'un jour et d'un seul coup, toute cette petite vie tranquille est partie en fumée. Dans tous les sens du terme, en plus. Et pour cause ! Ce jour, j'avais beau être aussi minuscule qu'une crotte à peine sortie d'une paire de fesses, je m'en souviendrai toute ma vie. C'était la fin de matinée. J'étais dans ma chambre, à m'occuper à dessiner des choses immondes - mais que je prenais alors pour de véritables oeuvres d'arts à l'époque ! - lorsque j'ai pu entendre des bruits un peu inquiétant venant des autres pièces. J'étais d'ailleurs sur le point de sortir voir lorsque ma mère est rentrée en trombe dans ma chambre. C'est bête à dire, mais je n'ai pas beaucoup de souvenirs du visage de ma mère. Ni de mon père, d'ailleurs. Ni de personne de feu ma famille, en fait. Bref. Tout ça pour dire que malgré cela... Son expression à cet instant reste encore gravée dans ma mémoire. Elle était effrayée. Mais ce n'était pas le même genre de peur que lorsqu'on grimpe au lustre pour apprendre à voler. C'était le genre... Qui réussissait à vous contaminer de cette peur. Elle m'a ordonnée, d'une voix tremblante, mais plus ferme que jamais, de me cacher dans le placard et de ne pas en sortir. Jamais. Sous aucun prétexte. C'était une demande très bizarre. Mais j'ai obéi. Sans broncher. Sans même que je ne sache pourquoi, la peur me rongeait tellement que mon ventre s'en tordait dans tous les sens. Et j'étais là, seule dans ce petit placard. A l'intérieur, il faisait noir. Un noir des plus complets. Et pourtant, je gardais les yeux grands ouverts. Presque exorbités. A l'affut du moindre bruit, du moindre mouvement. De la ou j'étais, je pouvais entendre des cris, des pleurs, des éboulements, des tirs d'arme. Tout genre de choses qu'une enfant de sept ans enfermée dans un placard ne devrait jamais entendre. Et puis, au bout d'un moment, plus rien. Mais je ne suis pas sortie pour autant. Parce que ma maman m'avait dit de ne sortir sous AUCUN prétexte, ce qui voulait dire pas même le silence. Je suis restée dans ce suspens insoutenable de longues minutes. A moins que ce n'étaient que des secondes. Et puis, d'un seul coup, la porte du placard c'est ouverte. J'ai sursauté et mes grands yeux apeurés se sont posés sur un soldat, juste devant moi. Sans oser bouger d'un ongle, je suis restée là, haletante, à le regarder fixement. Lui, ne réagissait pas, immobile. Et puis, il referme la porte doucement. Et quelques secondes plus tard, j'entends une voix s'exclamer « rien à signaler ». Et puis, plus rien. Sur le coup, je n'avais absolument rien compris à ce qu'il venait de se passer. J'étais trop sous le choc pour ça. On venait néanmoins de me sauver la vie. Je ne sais pas qui était ce soldat. Je ne le saurais probablement jamais. Mais il restera pour toujours mon héros.

Au bout d'une nuit passée seule dans mon placard sans aucun incident à déplorer (à part bien sûr des accidents techniques de type vessie de petite fille), je me suis décidée à sortir de ma cachette. L'appel du ventre. Malheureusement, je ne sais pas si j'espérais pouvoir me grailler un bon p'tit dej, mais ce qui est sûr, c'est que c'était impossible : la maison était tout simplement dévastée. Pire : vide. Sans personne. Et parfois, du sang sur un mur ou sur une pierre. Je ne peux même pas vous décrire tout ce que j'ai ressenti à ce moment là. Tout simplement parce qu'aucun mot ne serait à la hauteur. Je suis restée longtemps seule dans les décombres, à pleurer de peur et d'incompréhension. Mais arrivé un moment, il a bien fallu que je m'en aille. Je ne pouvais pas rester là. J'ai alors erré dans les rues, sans savoir ou aller, vers qui me tourner. C'est que, toute seule, tout me faisait peur. Les gens, les rues, les vaisseaux. J'avais le sentiment d'être entourée de monstres prêts à m'avaler toute crue. Et puis, un jour, c'est presque ce qui m'arriva.  Je ne sais plus tellement comment se sont déroulées les choses. Je crois que je dormais. Et quand je me suis réveillée... Je n'étais plus du tout là où je m'attendais être : on venait de m'enlever. Je me retrouvais là, misérable autour de personne aussi misérables que moi, des chaînes aux poignets et au cou. Autour de nous, des gens à l'air un peu moins misérable. Du moins physiquement. Et puis, un vieil homme gras s'est approché de moi. Il m'a fait me lever de force, m'a observée sous toutes les coutures... Et puis m'a emmenée avec lui. Et c'est dès lors que les plus longues années de ma vie allaient commencer. C'est que, comme je vous l'ai dit plus tôt, j'avais une vie tranquille. Sans aucun soucis. Et puis, surtout : je n'avais que sept ans et était déjà bien maladroite.  Alors, vous pensez bien, la petite Lya, comme esclave - car voilà bien ce que j'étais devenue - ce n'était pas le rêve. Surtout que, encore traumatisée par ce qui m'était arrivée quelques jours plus tôt, j'avais développé une belle phobie du noir. Toutes les nuits, c'était la même rengaine. Cauchemars, larmes, peur. Et tous les soirs, la même réaction chaleureuse et rassurante de leur part : cris, punitions, coups. Le tout saupoudré d'une cuillère d'insulte. Histoire de bien relever le tout. Ah, eux ! On peut dire qu'ils savaient y faire, avec les gosses ! Heureusement pour moi, j'ai fini par apprendre à garder mes émotions pour ma pomme et seulement pour ma pomme. Je ne vous cache pas que cela a été très dur au départ de se faire violence et tout ça ne s'est d'ailleurs pas fait en un jour. Mais je n'avais pas le choix. C'était une condition de survie. Et c'est jusqu'à mes 15 ans que je suis restée enchaînée à ce milliardaire gros plein de soupe. Les repas, le ménage et quelques extras don je vous épargnerais les détails une fois ma puberté venue, toutes mes journées étaient synonyme d'enfer à supporter tant bien que mal.

Mais un jour... Elle est venue. Angharad. A son arrivée à la demeure, je ne l'avais qu'aperçue être reçue comme une invitée de marque. Fascinée par l'aura de puissance et de confiance qu'elle dégageait, je me suis mise à la suivre discrètement. Pas si discrètement, puisqu'elle n'a pas tardé à me voir, puis me sourire. Ce qui aura eu comme effet de me faire fuir sur le coup. Non pas que l'esclavage m'aura rendue couarde, mais j'étais bien consciente que si quelqu'un me trouvait là, ça allait chauffer pour mon grade. Alors c'est auprès de mes camarades de torture que j'ai tenté d'en savoir plus. Et à force d'interrogatoires, j'ai fini par apprendre qu'elle était contrebandière et que le Maître avait fait appel à elle pour une affaire personnelle. Chose que j'ai de suite trouvé louche. C'est que, ma curiosité ne me poussait pas seulement à espionner les invités. Parfois, je partais aussi à l'exploration de la demeure, notamment des ailes nous étant interdites. Et si la plupart du temps, ça me permettait de me récolter de joyeuses punitions, il y a peu de temps... J'avais pu découvrir un joli pactole surement illégal que le gros plein de soupe cachait pour ses fesses ! Et c'est là qu'une idée folle m'est venue : après l'entretien de cette fameuse contrebandière avec le Maître, j'ai recommencé à la suivre. Encore une fois,je pense qu'elle m'a remarquée. Mais cette fois, elle n'a rien dit. Elle a seulement prétexté devoir se retirer un moment, demandant le chemin des toilettes. Et, une fois seule, elle se tourna vers ma direction. Là, j'ai pris mon courage à deux mains et je me suis avancée. En me voyant, le même sourire s'est affiché sur son visage : un sourire presque avenant qui m'a donné un peu plus de force dans mon initiative. Troquant mon pas hésitant pour une démarche se voulant assurée - mais toujours un peu gauche, je lui ai annoncé de but en blanc : « emmenez-moi avec vous. » Chose... Qui l'a faite rire. Mais bon. Elle ne s'y attendait pas aussi, faut la comprendre. Me demandant de répéter, je ne me suis pas démontée et j'ai continuée dans mon élan. « Vous êtes contrebandière, c'est ça ? Je ne sais pas quel marché vous avez conclu avec le maître, mais s'en est forcément un mauvais. Ce n'est pas une... Bonne personne. Et beaucoup d'autres comme vous y ont laissés leur peau... Mais je peux vous aider ! J'ai trouvé là où il cache tout ce qu'il a illégalement accumulé, je sais comment y aller ! Tout ça pourrait être pour vous ! Oh,  je vous en supplie, je ne veux pas finir mes jours ici, je ne veux pas que cette maison soit le seul souvenir de ma vie ! » S'en est suivi un long silence. Moi, la suppliant du regard, elle, tentant de sonder mon esprit. Et puis, sa première réponse. « quel âge est-ce que tu as ? » « 15 ans. » « et depuis quand es-tu ici ? » « ça a fait huit ans il y a quelques jours. » « Tu n'as pas de famille ? » et là, pas de réponse de ma part. Juste le regard devant déviant et s'emplissant de tristesse. Quelle idée de demander cela à une esclave, avais-je pensé. Et puis, elle reprit parole. « Tant bien même je volerais son or... Pourquoi te prendrais-je avec moi ? » « parce qu'il ne l'acceptera pas. Mais je connais ses points faibles. Je saurai vous aider à le battre. Tout comme je saurais vous aider à battre n'importe quelle autre personne, si vous m'en donniez la chance. » De nouveau, un long silence. Mon regard triste et suppliant s'était changé en un plein de rage de vaincre et de détermination. Elle resta longtemps à me regarder d'une manière que je ne pourrais décrire, lueur naissant dans ses yeux. Je ne sais pas ce qu'elle semblait voir en moi, mais, pour la première fois en bien longtemps, j'avais l'impression d'être perçue comme un être vivant, ce qui m'encouragea d'autant plus à ne pas casser ce contact visuel. Et puis, finalement, de nouveau, elle prit la parole. « demain soir. 23h. » avant de tout simplement tourner les talons. Je suis restée un moment complètement abasourdie de sa réponse. Me demandant si je pouvais ne serait-ce qu'oser espérer qu'elle accepterait ma proposition. Les heures fut longues jusqu'à celles du rendez-vous. Comme elle ne m'avait pas donné de point de ralliement, je suis par défaut revenue là où nous étions la veille. Mais ce n'est pas Angharad qui m'y attendait : c'était le maitre. Et, derrière lui, une autre esclave avec qui mes rapports n'étaient pas tellement cordiaux. Et là, j'ai de suite compris : elle nous avait espionné. Elle m'avait livrée au maître. J'allais y passer. Et effectivement, il n'a pas été tendre. Vraiment pas. Si vous le voulez bien, je vais éviter de m'étendre sur ce passage-là. Tout ce qu'il faut savoir... C'est que Angharad ne m'avait pas abandonnée. Et, je ne savais alors comment, elle avait réussi à me retrouver. J'étais trop mal en point pour l'aider en quoi que ce soit dans la bataille contre les hommes du Maître, mais, à bien la regarder et connaissant ma maladresse, je pense que c'était justement de ne rien faire la meilleure manière de l'aider. Profitant alors d'un moment de répit, elle me délivra, me porta sur son dos et se mit à partir. J crois que j'ai perdu connaissance à ce moment là. C'est assez flou. Toujours est-il que je me suis réveillée à bord de son vaisseau. Elle prit soin de moi et de mes blessures, m'interdisant de dire le moindre mot tant que je n'étais pas rétablie. Et lorsque enfin j'eu la permission d'ouvrir la bouche, je lui demandais simplement « et l'or ? » parce que oui. Elle m'avait sauvée moi, c'était bien joli. Mais moi-même en lui proposant mon idée, je ne me voyais que comme un lot secondaire, le premier étant le pactole du gros lard. Mais elle n'a pas tardé à me répondre « il y a parfois dans la vie des trésors bien plus précieux que l'or. Le courage.La foi. La loyauté. Beaucoup l'oublient, mais dans l'univers dans lequel nous vivons, tout serait perdu sans ses trois préceptes. » Ces paroles, jamais je ne les oublierais. Angharad venait de me montrer en une seule phrase, en une seule action, à quel point elle était quelqu'un de bien. Et pour moi qui avait grandi entourée de cruauté, je ne pus avoir qu'une seule réaction : les pleurs.

Même après ma guérison, jamais je ne quittais son vaisseau. Angharad était devenue pour moi comme une seconde mère. Du pilotage aux rots, du gâteau aux fruits non carbonisé aux tirs de blaster, elle m'a tout apprit. Si bien que ça ne s'arrêtait pas aux compétences diverses et variées. En fait, si je devais donner des noms aux périodes de ma vie, je dirais que celle-ci est une renaissance. Ma renaissance. Après près d'une décennie à servir  les moindres désirs d'un homme sale et cruel, de recevoir l'amour que peut porter une mère à son enfant, c'est... Indéfinissable. Vraiment. Elle est devenue toute ma vie. De nouveau, j'avais le sentiment d'appartenir à une famille. Quelque chose que j'avais oublié et enfoui depuis si longtemps... Bien sur, nos missions étaient périlleuses et ce n'était pas tous les jours roses, mais... C'était ça, la vraie vie. La foi. La loyauté. Beaucoup l'oublient, mais dans l'univers dans lequel nous vivons, tout serait perdu sans ses trois préceptes. » Ces paroles, jamais je ne les oublierais. Angharad venait de me montrer en une seule phrase, en une seule action, à quel point elle était quelqu'un de bien. Et pour moi qui avait grandi entourée de cruauté, je ne pus avoir qu'une seule réaction : les pleurs.

MA vraie vie. ...Seulement, de nouveau, tout à changé. Ca s'est passé il y a que très peu de temps. On venait de fêter mon 26ème anniversaire. Je ne me rappelle même pas du nom de la planète sur laquelle on se trouvait. Ca ne devait être qu'une petite mission routinière, sans importance. Mais, derrière cette porte... Une armada entière de soldat des Vestiges de l'Empire nous attendait. Ou plutôt, l'attendait, elle. Même après 11 ans à ses côtés, je n'intéressais pas l'ennemi. J'ai tenté, tout comme elle, de les battre. Mais ils étaient trop nombreux. Trop armés. Et j'ai du, impuissante, assister à l'arrestation de la personne qui était devenue celle la plus importante de ma vie. Je me suis alors comme projetée dans le passé. Dans le même état que lors de mon enfance. De nouveau, j'étais seule. Et puis, une jeune femme arriva. Ashleigh. Au début, je dois l'avouer, je ne l'écoutais qu'à moitié. Mais, ensuite, j'ai entendu les mots déclics. « résistance », « combattre les Vestiges ». « Sauver ton amie ». J'ai levé les yeux vers elle. Nos regards se sont croisés. Et là, c'est comme un petit choc que j'ai eu. Ses yeux. La même lueur qu'avait brillé dans ceux d'Angharad il y a quelques années brûlait maintenant dans ceux d'Ashleigh. Tout comme à l'époque, je ne savais ce que cette lueur pouvait signifier. Je ne savais ce qu'elles avaient toutes les deux pu voir en moi. Mais je savais ce qu'elle symbolisait, pour moi : Une main tendue vers moi. Une main que j'allais attraper. Parce que beaucoup l'oublient, mais dans l'univers dans lequel nous vivons, tout serait perdu sans la loyauté, le courage et... La foi.