Année 9, Bastion.

Désolation. Dans ses yeux écarquillés se reflètent la chute même de sa propre humanité. Le souffle court, il tente vainement de faire taire les voix qui se lèvent contre lui au fond de son esprit. Serait-ce les morts qui lui parlent ? Déjà ? Après si peu de temps. Vient alors la grande question qui le taraude depuis : mais où se jettent donc toutes ses âmes ?

Au fond du bleu de tes yeux, le vide. Ils contemplent sans le voir l’abîme qui se creuse entre toi et la réalité. Tu ne perçois l’écho qui t’appelle et te rappelle, te jette soudain à nouveau dans ce monde qui est tien. Il n’y a plus de feu autour de toi. Juste le brasier des pupilles de Maybelle. Bien sûr qu’elle n’approuverait pas. Mais aussi, bien sûr qu’elle comprendrait. Elle aussi est soldat.

- Quand est-ce que tu reviendras ? Quand ils t’auront grillé ?
- Plutôt quand, moi, je les aurais grillés.

Était-ce la vue ou l’odeur le plus désagréable ? Ou peut-être était-ce les cris. A moins que ce soit ton esprit qui divague ? Les mains de ta femme se posant sur tes joues chassent les mauvaises pensées. Bon sang. Il faut que tu restes concentré. Tu hausses doucement les épaules, esquisses un sourire avant de voler un baiser. Tu n’as pas besoin de frôler sa peau pour saisir son inquiétude : elle pèse lourd dans votre chambre et sur ta cage thoracique. Tu n’as rien pu lui dire. Juste que tu devais partir en mission. Laquelle ? Ah ça, c’est un grand secret. L’Empire a décidé de voir grand malgré le peu de ressources qu’il lui reste. Tu ne les trahiras pas, même pas pour rassurer ta propre épouse. Dans son regard, tu vois un peu de reproche, beaucoup d’anxiété. Vous connaissiez chacun les risques du métier et tu lui en veux presque de s’en émouvoir.

Tes iris balayent l’obscurité de la nuit. Tu évites de clore les paupières. Elles t’offrent un ballet d’images trop floues. Tout se bouscule en ton crâne et tu payerais cher pour t’endormir sous le poids du sommeil. Mais rien ne vient. Uniquement le flux incessant de souvenirs. Tes premiers pas dans l’armée, il y a 23 ans de cela. Tu avais été la fierté de ta mère et aurais été celle de ton père s’il n’était pas tombé dix ans plutôt, au service de l’Empire. Tu as suivi ses pas ; ceux qui t’ont mené vers la grandeur. A l’instant, tu regrettes presque les années passées à bord du Judicator, en tant que bras droit. Oui, ce sont sans doute les meilleures années de ta carrière. Mais elle n’est pas finie. Tu as encore du chemin devant toi. Et tu ne pourras guère le parcourir si tu es mort de fatigue. Alors, une nouvelle fois tu tentes vainement de t’endormir.

Année 9,  Coruscant
Tu as beau savoir que tout cela n’est qu’une grande illusion, tu ne peux t’empêcher d’avoir un peu peur pour ta vie. L’adrénaline est là, tu sens ton cœur battre la chamade au fond de ton cœur. Etre poursuivi par l’Empire lui-même est une expérience que tu ne pensais jamais à avoir à vivre. Et pourtant. Coruscant est devenu votre terrain de jeu – un jeu de vie et de mort – et tu es bien heureux d’en connaître les moindres recoins. Tu sais que tes anciens collègues ne te tueraient pas mais ils y mettent beaucoup du leur pour que tout cela semble réel. Dans tous le cas, ne fusse que pour la réussite de ta mission, il vaudrait mieux que tu ne te fasses pas attrapé.

C’est quand un jeune homme te tire dans une ruelle juxtaposant celle où tu étais prêt à te jeter à corps perdu que votre plan commence à porter ses fruits. D’abord surpris, tu menaces d’un poing l’énergumène avant de reprendre tes esprits. Ta mission. Les yeux écarquillés vous vous observez un moment. L’autre jette un œil à tes poursuivants tentant de se faufiler un chemin jusqu’à toi. D’un seul signe de tête, il te demande de le suivre avec toute la confiance que cela implique. Plus qu’à espérer qu’il s’agisse bien du sauveur résistant que tu attendais. Dans le pire d’un cas, ce n’est pas une embuscade qui t’impressionnera.

Le jeune homme te traîne dans ces rues que tu connais bien. Il ne pipe pas mot, trop occupé à surveiller vos arrières. Il finit par te pousser à travers la porte arrière d’un bâtiment. Et c’est à cet instant qu’il faut que tu mettes tous tes talents d’acteur en jeu. Dans un premier lieu, tu récupères tes esprits, expliquant vaguement la situation désastreuse dans laquelle tu t’es fourré – décider de fausser compagnie aux Vestiges de l’Empire et en profiter pour leur voler quelques informations. L’autre tique un peu. De prime abord, il voulait juste aider un gars en mauvaise position. Désormais, il se rend compte qu’il a tiré le gros lot. Alors il t’invite à t’asseoir, à partager ton histoire. Tu contes ce que tes supérieurs t’ont demandé de leur mettre en tête : tu n’es qu’un traître. Tu ne croyais plus en eux, en les tiens et tu es parti, comme un voleur – c’est bien le cas de le dire.

Il y a eu le lot de suspicions bien sûr. Il y en a toujours. Des visages qui se retournent contre toi, le regard dur et accusateur. C’est qu’ils n’ignorent pas les atrocités que tu as dû commettre – qu’elles soit véridiques ou fantasmées. Tu leur dis que tu regrettes mais au fond de ton cœur, tu sais qu’il n’en est rien. Tu ferais n’importe quoi pour l’Empire. Ou tout du moins, c’est ce que tu t’efforces à continuer de croire. Depuis le temps que tu es infiltré chez les Résistants, tu ne peux t’empêcher de commencer à te questionner. Mais tu balayes les doutes d’un geste de la main : c’est du lavage de cerveau, tu le sais. Tu ne dois pas abandonner, tu as une mission. Alors tu n’as de cesse de te rappeler avec qui tu tiens. Heureusement, il y a eu ceux qui t’ont accueilli à bras ouverts. Ceux qui ont décidé de te pardonner ou tout du moins de profiter de l’aubaine que tu représentes. Les informations que tu livres sont toujours un peu incertaines ou un peu dépassées – il ne faudrait pas que tu mettes les tiens en péril. Mais plus tu donnes et plus leur confiance permet de mieux les trahir.