Mos Espa. Le nom de la petite cité spatioportuaire dans laquelle ils s'étaient arrêtés pour terminer leur transaction sonnait comme une note d’espoir. Après un plein bien mérité, le Grayson allait pouvoir enfin renouveler sa cargaison et peut-être même prendre quelques passagers sur le passage si la chance était de leur côté. Le capitaine ne semblait pas trop s'inquiéter à ce sujet, aussi la pilote lui faisait confiance, même s’ils auraient vraiment besoin de cet argent. Ce genre de situation précaire ne serait pas une première. Bien sûr elle n’était pas idéale et présentait – il fallait le dire – de nombreux désavantages, comme le fait que de nombreuses pièces du vaisseau demandaient à être changés depuis un moment déjà mais qu'ils ne pouvaient pas faire grand chose pour y remédier.

Heureusement, jusqu’à preuve du contraire, le Grayson tenait toujours bon. Meelo, le jeune mécano était là pour s'en assurer bichonnant cette petite luciole du mieux pour que celle-ci puisse continuer à briller et à voyager d'un monde à l'autre. Et puis, malgré les protestations qui avaient lieu de temps en temps, tous savent que vivre dangereusement faisait partie des risques du métier et dès lors cette liberté durement acquise n’en était que plus méritée. Et puis même lorsqu’ils se retrouvaient en effet à sec et fauchés comme les blés – chose qui leur arrivait assez régulièrement il fallait bien l’avoue –, ils n’en avaient pas moins l’habitude de se débrouiller pour pouvoir repartir là-haut, dans les étoiles. Nul doute que cette débrouillardise allait à nouveau leur servir sur Tatooine car assez excentrée dans la galaxie et occupant une position stratégique au croisement de plusieurs routes hyperspatiales, la planète était un endroit rempli d’opportunités pour les contrebandiers et hors-la-loi de toutes sortes.

Les Vestiges de l’Empire n’y était pas invisible mais certainement beaucoup moins présents que sur de nombreuses autres planètes puisqu’il s’agissait d’un territoire dirigé par les Hutts, et principalement un Hutt du nom de Rotta, le fils du célèbre Jabba mort cinq ans plus tôt et laissant derrière lui un empire criminel conséquent. Ce dernier contrôlait ainsi la majeure partie de la contrebande de denrées illégales, des butins d’actes de piraterie, et de la vente des esclaves. Ces activités généraient le gros de la richesse de cette planète et les Hutts n’aimaient pas beaucoup que l’on vienne se mêler à leurs affaires et pouvaient se transformer en ennemis redoutables pour peu que les impériaux aillent trop fouiner dans ce qui ne les regardaient pas. Les territoires du cartel des Hutts étaient donc des havres pour tous ces parias qui cherchent à échapper à l'Empire et ne désiraient pas être retrouvés.

Mos Espa étant l’un des plus importants spatioports de la planète, les occasions de faire affaire n’était pas ce qui manquait. La chaleur y était torride, renforcée par l'activité abondante des vaisseaux qui venaient des quatre coins de la galaxie. Les gaz faisaient de l'atmosphère lourde et empuantie du spatioport un vrai cimetière de banthas. Même s’il s’agissait d’un repaire de criminels de toutes sortes, la pilote du Grayson savait qu’elle peut garer le vaisseau en toute tranquillité contre quelques crédits bien placés. Et puis même si son amour pour ce dernier était un peu aveugle de l’avis de certains, peu de voleurs étaient en réalité intéressés par ce que la plupart voyait – à tord – comme un tas de ferrailles sans intérêt.

Située en bordure de la Mer des Dunes, la ville s’étendait en longueur comme la trace sinueuse d’un serpent fuyant la canicule. Les bâtiments étaient surmontés de dômes, leurs murs épais incurvés pour mieux protéger du soleil, et les échoppes et boutiques étaient toutes équipées d’auvents ou de vérandas qui offraient un semblant d’ombre aux marchands. Par ailleurs, l'aspect désertique de cette planète n'empêchait visiblement pas l'endroit d'avoir une certaine circulation. Les rues larges dans lequel le petit groupe s’avançait étaient encombrées d’êtres de tous aspects et de toutes tailles, la plupart venus d’autres mondes.

Des landspeeders les frôlaient à vitesse réduite, et des droïdes de tous modèles roulaient derrière des non-humains en costumes du désert. Certains chevauchaient des eopies desséchés par le désert. De gros banthas domestiqués avec leurs cornes en spirales, et des dewbacks tiraient des carrioles, des chariots et des traîneaux montés sur roues ou patins mécaniques selon les besoins, un méli-mélo de trafics commerciaux entre les ports plus petits de Tatooine et les étoiles des systèmes au-delà. Il existait ici tant de combinaisons de créatures de toutes les espèces qu’en tant que groupe mêlant humains et aliens, ils allaient décidément bien ensemble et se fondaient dans le paysage. Après s’être arrêtés quelques instants et avoir échangé dans le brouhaha infernal qui les entouraient, ils finirent par partir dans des directions opposés.

À présent seule, la jeune femme se dirigea d’un pas tranquille vers l’un des bâtiments tandis que les soleils jumeaux de Tatooine glissaient doucement vers l’horizon pour céder la place à la nuit. Une seconde lui suffit pour juger l’endroit. Il s’agissait d’une cantina comme il y en avait des milliers sur autant de mondes dans toute la galaxie. La musique caractéristique d'une petite bande jouait un air entraînant et la lumière tamisée permettait de voir parfaitement chaque nouvel arrivant sans révéler d’un coup d’œil la faune environnante. Pourtant elle n’eut aucun mal à sentir les nombreux regards qui se tournèrent vers elle à son entrée et la suivirent sur son passage. Certains la dévoraient déjà des yeux avec avidité. Jusque là, rien qui ne sorte de l’ordinaire. L’ancienne compagne était habituée à susciter une attention certaine qui se traduisait le plus souvent par des regards appuyés et des commentaires grivois qu’elle n’avait aucun mal à ignorer.

Avec une telle tenue, on ne pouvait pas dire non plus qu'elle cherche la discrétion. Sur son bandeau de tête en cuir qui protégeait à la fois le haut de ses lekku et ses petites oreilles en forme conique se trouvait une paire de lunettes de protection de pilote. Elle était vêtue d'un haut court gris et sans manche qui non seulement offrait un décolleté plongeant mais épousait ses formes de manière révélatrice, d'un pantalon noir moulant et d'une paire de bottes de cuir sombre. Sur la ceinture ceinte à sa taille étaient accrochés avec deux holsters, un de chaque côté, dans lesquels se trouvaient ses pistolets blasters mais aussi plusieurs petites sacoches de cuir et enfin un étui contenant visiblement une arme blanche reposait contre sa cuisse droite.

Sa démarche elle aussi semblait étrangement détonner pour le petit brin de femme qu'elle semblait être. Ce n'était pas le déhanché appuyé et vulgaire que l'on voyait souvent chez ces danseuses twi'lek mais plutôt un mélange de sensualité et de fermeté. Sans prêter la moindre attention aux yeux lubriques qui se posaient sur elle et tout en évitant gracieusement les mains avides qui se tendaient sur son passage, l'étrangère se dirigea droit vers le bar. De la même façon elle ignora le regard méprisant de la twi'lek verte aux longs appendices dont la proie avait été distraite par la nouvelle venue et commanda sans détour une bière corrélienne, bière qui lui fut immédiatement servi et auquel elle ne tarda pas à porter ses lèvres asséchées par les soleils, le sable et la poussière de Tatooine. Sa gorge était sèche aussi cette boisson fraîche était la bienvenue et elle ne put s'empêcher de laisser échapper un petit soupir de contentement et de soulagement.

Cette petite pause méritée lui laissa le temps d'observer la salle, d'étudier l'endroit où elle avait mis les pieds, d'écouter discrètement les conversations autour d'elle. La ville de Mos Espa avait depuis le départ de Jabba le Hutt au profit de Mos Eisley gagné une nouvelle réputation, plus respectable, mais ces changements ne semblaient pas être du goût de tous à en croire les dires qu'elle captait d'un groupe de Rodiens. Ils se disaient qu'il ne faudrait pas encore plus longtemps pour que les fermiers préfèrent aller vendre leurs champignons sur le marché de Mos Eisley et que Mos Espa se retrouvait délaissée, même si de l'avis d'un autre ce n'était pas prêt d'arriver. Pour l'instant, les diverses rumeurs qui parvenaient aux oreilles de la jeune femme n’étaient pas vraiment susceptibles d'aider ses affaires mais cette situation pouvait très vite changer aussi restait-elle alerte.

La jeune femme avait bien entendu le remue-ménage derrière elle mais elle ne s'en était aucunement inquiétée. Ce genre de perturbations était plus que commun dans la plupart des cantinas de la galaxie et encore plus dans celles de planètes de la Bordure Extérieure comme Tatooine. Dans ces endroits bien souvent peu recommandables, bagarres, meurtres et violences en tous genres éclataient quotidiennement que ce soit suite à une mauvaise partie de sabacc, dans un règlement de compte quelconque ou même sur un simple malentendu. Aussi, tout de même un peu curieuse car il pouvait y avoir des opportunités à saisir, s'était-elle lentement retournée, son verre à la main et avec cette flegme qui la caractérisait lorsqu'un humain lui était presque tombé dessus, attendrissant sur le comptoir et faisant voler deux bouteilles qui glissèrent avec d'exploser sur le sol. Elle lâcha un soupir.

« Désolé… Je vous laisse vous en occuper, OK ? Je ne fais pas le poids moi… Et en plus ils sentent tellement mauvais ces faces de culs. » À qui s'adressait-il ? À elle ? Elle n'en savait vraiment trop rien car le pauvre homme n'avait visiblement plus toute sa tête s'il espérait qu'elle lui vienne en aide ou s'il voyait cela comme une tentative de séduction quelconque. Haussant un sourcil, elle leva son verre à son encontre avant d'en siroter une  gorgée, un sourire amusé au coin de ses lèvres. Elle reconnaissait celui qui avait lancé ces éclats de voix un peu plus tôt. Il fallait être fou — ou suicidaire — pour faire éclater une bagarre en un lieu où tous étaient à gâchettes tirées et prêts à faire feu pour la moindre raison. De plus ici personne ne craignait de représailles si ce n'était des potentiels amis ou patrons Hutts qui viendraient les venger ; la justice de cette Nouvelle République était complètement absente de ces planètes de la Bordure. « J’adore Tatooine ! » , ajouta le chahuteur, chose dont il n'allait sans doute pas pouvoir se réjouir bien longtemps.

Cet homme semblait avoir scellé sa mort, ce qui était dommage car il était plutôt charmant et agréable à regarder. Elle espérait au fond, même si ses chances de s'en sortir étaient minimes, qu'il arrive à se débarrasser de ces hurluberlus sans que des copains des deux Aqualishs viennent répliquer. Peut-être pourraient-ils alors boire un verre ensemble ? Comme en soutien de ce qui s'annonçait comme le début d'une belle bagarre, le groupe sur l'estrade se mit à jouer un morceau plus entraînant, visant à ponctuer les coups qui ne tarderaient pas de pleuvoir et qui allaient divertir le public. Le patron derrière le bar ne semblait pas autant se réjouir et affichait l'air lasse et désespéré de celui qui en avait assez de ce genre de situations qui détruisaient son établissement sans que les clients en question ne remboursent ou ne puissent rembourser les dédommagements.

L'inconnu venait de se faire rattraper par un de ses assaillants qui lui colla un beau crochet du droit. Celui-ci l'envoya valdinguer jusqu'au comptoir où il mit une fraction de seconde à reprendre ses esrptis. « Je vous trouve ravissante vous savez ? », lança-t-il d'un air charmeur à son encontre, un sourire idiot sur son visage qui ne portait étrangement aucune marque du coup qu'il avait reçu. « Vo... » Il n'eut pas le temps de terminer sa phrase, rattrapé par son agresseur qui le roua de coup avant de le lancer sur une table à laquelle se jouait une partie de sabacc. Aie...

Le dos calé sur le comptoir, la métisse avait un air détendu comme si elle assistait à un spectacle des plus communs, ce qui était le cas. Elle ne comptait plus les fois où elle avait assisté à des batailles dans des cantinas ni le nombre de fois où ça s’était fini par un mort si ce n’était un véritable carnage là où les gens avaient le sang particulièrement chaud, comme dans les bas-fonds de Coruscant.

La jeune femme grimaçait néanmoins à chaque coup que se prenait l'homme, un pilote à en juger la tenue qu'il portait, caractéristique des gens dans le métier. Elle n'appréciait pas vraiment la violence mais elle en avait tellement vu qu'elle avait fini par se créer une sorte de détachement involontaire. Elle faillit donc lâcher un petit rire quand il réussit à embrouiller les joueurs pour les faire se retourner contre les Aqualishs, affichant néanmoins le même sourire amusé devant la scène qui se relevait assez cocasse au final.

Une milice arriva soudain dans la cantina, calmant le jeu à coups de blaster et tout ce joyeux monde finit par se calmer, les hommes entraînant à leur suite les Aqualish qui rétorquaient, mécontents ponctué de ce qui devait être des jurons dans leur langue incompréhensible composée de grognements. Une fois qu’ils disparurent, entraînés par la force hors de l’établissement, le pilote réapparut, comme une fleur et légèrement titubant pour s’installer sur un tabouret face à elle.

« On en était où ? », demanda le séducteur ce même sourire charmeur collé à ce visage qui n’avait étrangement une fois de plus pas été très amoché à l’exception d’une légère estafilade sur la joue. « À votre façon déplorable d'attirer l'attention d'une jeune femme ou à la manière la plus rapide de vous faire tuer ? », répondit la twi'lek en Basic avec une certaine douceur dans la voix mais sur un ton joueur avec ce léger accent qui lui donnait un charme exotique. Suite à quoi elle but la dernière gorgée de sa bière pour cacher son sourire.

« Payé par la demoiselle », lança le patron en indiquant la métisse d'un signe de la tête. Il fit glisser le cocktail sur le comptoir en direction de l’homme puis posa le même près de la jeune femme qui posa sa bière terminée pour s’en saisir. « Tatooine Sunrise », expliqua la jeune femme en indiquant d’un coup d’œil au cocktail qui lui était servi : un breuvage mêlant des teintes rougeâtres assez évocatrices du nom qui lui avait été donné. « Pour célébrer le fait qu’avec encore un peu de cette chance extraordinaire, vous verrez un nouveau lever de soleil », déclara-t-elle, un sourire espiègle aux lèvres tout en levant son verre dans sa direction.

« Je suis ému. Merci. », répondit le pilote qui avait l'air véritablement touché, ce qui étonna un peu la jeune femme. Peut-être était-il en effet aussi cinglé qu'il le prétendait ? Mais cela n'avait pas grande importance... « Argh. Y a qu'ici qu'on peu trouver de tels cocktails ! », s'exclama-t-il, visiblement un peu surpris par l'aspect corsé de la boisson. La jeune femme lui trouvait une certaine douceur au contraire, un côté agréablement sucré mais très enivrant.

« Je vois que vous êtes une pilote et si c'est bien le cas, vous devez avoir un vaisseau. Si je me fies à ce que je vois, vous ne devez pas être d'ici et donc devez voyager... alors voilà ma proposition.  » Il s'approche ensuite pour lui susurrer à l'oreille. « Passons la nuit ensemble et au petit matin, partons pour une destination de mon choix. J'ai besoin de quitter cet endroit sans trop me faire remarquer et votre assurance me semble gage de sûreté... Vous avez l'habitude de ces lieux et gens et j'ai des crédits... Qu'en dites-vous ?...  »

Impassible, elle laissa la question planer en suspens. Durant ces quelques secondes elle demeura silencieuse, pencha lentement la tête sur le côté, comme pensive, puis un sourire se dessina peu à peu sur ses lèvres jusqu'à envahir complètement son visage. Ses fossettes rendaient ses yeux encore plus malicieux et elle sourit de toutes ses dents. Éblouissante. Habituellement il était très rare de voir un twi'lek sourire de cette façon pour la simple raison que cela découvrait par la même occasion des dents naturellement pointues, chose qui n'était en général pas pour rassurer la personne en face et leur donnait un air carnassier.

Mais la jeune femme était différente. Twi'lek elle ne l'était en réalité qu'à moitié, chose qui se trouvait confirmé par le fait que ce large sourire dévoilait une rangée de petite dents blanches comme des perles, tout à fait humaines et non limées comme c'était le cas pour les esclaves twi'lek. Elle profita encore un instant de l'effet que ce sourire produisait chez l'homme en face d'elle, tout en se caressant de manière désinvolte la nuque, les yeux ailleurs comme si elle réfléchissait encore à sa suggestion chargée de sous-entendus.

Puis pour seule réponse, la twi’lek plongea son regard ambré directement dans celui de l’homme, sans timidité aucune. Cette intensité et cet un air de défi en aurait troublé plus d'un mais il ne dura que quelques secondes tandis qu’elle déboucla ostensiblement sa ceinture contenant ses armes pour la déposer sur le comptoir. Puis elle se retira, son petit corps le frôlant discrètement au passage. Elle savait l’effet que cette caresse éphémère procurait, cet effleurement si léger qu’on en venait à douter de sa réalité. Il se dégageait d’elle une insolente séduction et elle savait qu’elle jouait sûrement avec le feu. Elle n’avait pas peur. Bientôt, elle serait le feu, pensa-t-elle.

Non sans lancer un regard et un nouveau sourire au passage à l’homme qui la regardait, interdit, elle se dirigea d’un pas volontaire, décidé, vers l’estrade sur laquelle se tenaient les musiciens et les danseuses. Sans hésiter elle sauta sur la scène et les hommes se mirent à pousser des cris enthousiastes. Elle rejeta ses lekku en arrière d’un mouvement de tête, se saisit de la barre qui trônait au centre de la plateforme d’une main ferme et commença à en faire le tour, lentement. Sa jambe galbée se plia et elle s’y colla, tournant toujours autour et s’assurant qu’elle avait capté l’attention de tous dans la salle.

A cet instant, les musiciens byths changèrent de morceau. La musique pulsa autour d’elle, l’appelait. Elle fermait les yeux un instant pour la laisser l’imprégner, la pénétrer jusqu’à ce qu’elle la ressente au plus profond d’elle. Lorsqu'elle les rouvrit soudain, son être entier vibrant avec les sons. Comme en transe, ses pieds marquèrent le rythme, son corps se mettant lui aussi en marche, tout entier, réagissant à cette musique qui l’envoûtait, qui la pénétrait : son cœur qui battait, ses pieds semblaient frôler la scène et ses bras glissant le long de la barre.

Elle était comme possédée par la musique, emplissant l’espace autour d'elle, chacun de ses gestes suivant la mélodie avec une grâce irréelle. Sa silhouette parfaite et sensuellement dessinée dans sa tenue moulante se mit à ondoyer. La barre n’était plus un simple support, elle devint un partenaire. Elle s’en allait, revenait, s’envolait, les yeux brillants, un sourire aux lèvres. S'éloignant quelques instants elle effectua une série de mouvements sur la scène parfaitement en raccord avec la musique.

Malgré la technique professionnelle, elle ne montra pas la mécanique du mouvement, l’effort, l’utilisation de la force musculaire, de la rapidité d’exécution ou du défi que représentait la gravité. Tout semblait se faire dans une incroyable aisance, un naturel à couper le souffle tandis qu'elle entrait en contact visuel avec autant de personnes que possible dans la salle. Une ouverture de jambe rattachée à une pirouette entière sautée avec entrechat trois, suivie d’un rond de jambe en l’air. L’exactitude rythmique était là, l’aisance et l’aplomb.

Petite, mince, élancée mais désirable au possible, elle n'était pas forcément plus jolie qu'une autre de ces magnifiques danseuses mais elle respirait la confiance en elle et c’était ce qui la différenciait dans sa présence et son éclat face aux jeunes twi’lek soumises qui se retiraient pour lui laisser entièrement la scène. Elle n’était pas une esclave. Elle n’était pas une servante. Elle n'était même pas une simple pilote. Elle était là pour son propre plaisir. Elle choisissait sa propre satisfaction. Elle transmettait ses émotions et son cœur de femme. Elle n'était pas qu'un objet d'affections et de désirs. Elle était libre. Elle était belle. Elle était son propre maître.

Au départ, la jeune femme s'était contentée de tourner autour de sa barre verticale mais ce fut quand elle a décidé d'en faire son unique lien avec le sol et d'y rester en équilibre que la salle fut époustouflée. La bande changea à nouveau de morceau. Le rythme devint alors plus complexe, contraignant la métisse à modifier sa cadence. Légère comme un voile, ondulant ses bras comme des ailes, la petite twi’lek s’adapta sans difficulté et se mit à virevolter. Les gens autour d’elle tapaient des mains.

La force et la concentration que lui demandaient ce petit numéro étaient incroyables. Elle donnait presque l'impression qu'elle arrivait à marcher sur l'air et se hissa à la force de ses bras très facilement le long de la barre métallique avant de redescendre lentement en bougeant les jambes. Elle contrôlait la position de tout son corps avec tant de précision, basculant de gauche à droite avec tant de grâce, qu'elle semblait monter ou descendre des marches invisibles plutôt qu'être suspendue à quelques centimètres du sol.

Entre mouvements d'équilibriste et autres gestes remplis de sensualité, cette jeune twi’lek avait scotché tout le monde. Pas un seul roulement de hanche à la sensualité exagéré ni de geste vulgaire. Elle était pleine de vie, de musique. Ce qu’elle offrait au public n’est pas un spectacle digne des filles de charme mais bien une réelle prestation artistique, une manière de s'exprimer librement. Elle n’était pas une simple prostituée et elle n’était plus cette compagne que l’on avait vendu pour le prix d’un palais.

Peu à peu la foule était sous son hypnose et chaque recoin de la pièce lui appartint bientôt. La chaleur et la danse rendirent rapidement son corps moite, moite et humide de transpiration. La sueur déposa une pellicule brillante sur les parties nues de son corps : son cou, le haut de sa poitrine, ses bras, son petit ventre,  sa taille fine… La transpiration fit naître d’étranges arabesques sur son corps reflétant l'éclairage changeant et multicolore dans ces ténèbres de velours.

La musique atteignit alors son paroxysme et elle se cambra brutalement en arrière. Arrivée en haut, elle lâcha soudain la barre, provoquant les cris puis les applaudissements admiratif de son public lorsqu'elle la rattrapa sans même toucher le sol avant de rester là, en équilibre dans les airs. Puis le morceau finit par se terminer et avec lui sa danse. Avant même qu'elle salua son auditoire ; les cris et les applaudissements qui retentirent firent trembler la salle et l'onde sonore la transperça de part en part.

Aux anges et un air triomphant sur le visage tandis qu'on l'acclamait toujours à gorges déployée, elle se dirigea vers le bar. Les gens s'écartèrent sur son passage cette fois. Les musiciens jouaient toujours mais la salle est désormais emplie de murmures et autres discussions à voix basse. Elle arriva dans le dos du pilote, frôlant sa nuque du bout de ses doigts puis approchant sa bouche de son oreille.

« Une pilote, hm ? En êtes-vous sûr ? » , lui souffla-t-elle en réponse de la même manière qu’il l’avait fait un peu plus tôt avant d'attraper tranquillement sa ceinture sur le comptoir.

« Vous avez en tout cas un certain talent pour éveiller les hommes...  à votre pratique. », commença-t-il. « Mais ça ne doit pas bien être compliqué. », acheva-t-il comme s’il s’apprêtait à relever un défi. Bien que confuse, la jeune femme ne fit que lever un sourcil, un sourire toujours en coin. Son expression changea progressivement à la stupéfaction lorsqu’elle comprit qu’il tentait de l'imiter, défaisant sa ceinture d’une manière similaire mais étrangement maladroite et se dirigeant vers la scène. « Musique ! », lança-t-il au passage. Les membres du groupe se regardèrent un instant, ébahis, avant de se lancer dans un nouveau morceau.

Ce qui suivit réjouit vraiment la twi’lek. Plus d’une personne avait du trouver cette démonstration particulièrement embarrassante mais elle ne le vit pas tout à fait de cette manière. Après tout, le ridicule ne tuait pas et il fallait dire que la scène était particulièrement cocasse, d’autant qu’il semblait s’appliquer avec un grand sérieux à la tâche. Elle ne savait si cet air était feint mais elle trouvait cela plus que drôle et ne put s’empêcher de succomber à un incontrôlable fou rire qui lui mit bientôt les larmes aux yeux. Malheureusement le reste des clients de la cantina n’étaient visiblement pas prêts à se divertir de cette manière et le pilote avisé revint bien vite en direction du bar avant de s’attirer à nouveau des ennuis.

« Ma petite démo vous a fait changer d'avis ? Après une telle parade nuptiale, qui pourrait se refuser à moi et à mes demandes ? », lui demanda-t-il avec un grand sourire avant de vider son verre d’un trait. « Vous allez la fermer, oui ? J'aimerais bien vous y voir, bande de bouffe merde Bantha ! », cria-t-il à ceux qui commentaient sa prestation, visiblement agacé. « Vous avez aussi indéniablement un talent dans votre genre... », réussit-elle à dire ayant quelque peu calmé son hilarité devant le sérieux dont il faisait preuve. « Je suis Kora, Kora Frye », se présenta-t-elle en lui tendant une main. Elle n’osa pas lui demander son nom en retour puisque de toute façon s’il cherchait à se faire discret il était fort probable qu’il en utilise un faux.

« Et je suis bien pilote », enchaîna-t-elle, « et non danseuse de cantina. Néanmoins ce genre d’accessoire ne me sert plus vraiment aujourd’hui », précisa-t-elle en tapotant d’un doigt les lunettes sur son front qu’il avait fixé un peu plus tôt. « Il m’était surtout utile à l'époque où je pilotais des modules du course. », ajouta-t-elle avec un sourire lumineux. « Vous cherchez donc un moyen sûr de quitter cette planète sans vous faire trop remarquer. », récapitula-t-elle sur un ton plus professionnel. « J’ai pour ça le vaisseau qui vous faut, le Grayson. Vous avez de la chance on dirait, nous cherchions justement des marchandises et passagers à embarquer. », acheva la contrebandière.

« Je suis enchanté Kora. Vraiment. », dit-il avec sincérité en lui serrant la main. « Je suis donc l’homme de la situation pour vous ! Et vous la femme qui va me sauver d’un sacré pétrin. » Kora n’en doutait pas. Les conversations véhémentes et les murmures allaient de bon train dans la salle de la cantina, couvrant presque la musique. Une certaine tension planait dans l’air mais pour le coup elle n’aurait su si c’était vraiment le pilote ou du fait de sa petite démonstration de tout à l’heure.

En se donnant ainsi en spectacle elle avait immédiatement su qu’elle n’allait pas rester bien longtemps dans l’établissement. Tatooine était une planète où les barons du crime présidaient sans foi ni loi avec peu d'interférence extérieure. En un endroit pareil elle ne pouvait faire confiance à personne et devait avoir un coup d’avance. Glisser une drogue quelconque dans sa boisson ou l’endormir d’une fléchette était un jeu d'enfant et alors, en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, elle pouvait très bien se retrouver l’esclave sexuelle d'un quelconque seigneur du crime Hutt.

Pourtant elle cachait toute inquiétude ou appréhension vis-à-vis de l’agitation qui commençait à se faire ressentir autour d’eux derrière cette même façade détendue et souriante. Les ennuis ne tarderaient pas à arriver et une part d’elle s’en réjouissait. Elle aimait ce genre de tension, l’adrénaline que procurait ces moments où elle échapperait de justesse à un bien triste sort. Le sourire ne la quittait pas, ni sa posture qui pour la plupart des gens laisseraient penser qu’elle est parfaitement détendue alors qu’elle se tient au contraire prête à réagir.

« J'ai besoin d'une autre leçon de danse. Mon numéro n'est pas encore au point et vous pourriez m'apprendre deux trois trucs.  » Un petit rire la secoua à nouveau tandis que son sourire s’étendait en coin, accompagné d’un clin d’œil. « Ma seule question sera la suivante. Pouvons-nous partir rapidement et si possible me mettre en classe VIP ? » Il entrouvrit sa tenue de pilote, laissant voir des lingots de crédits dépassant de ses poches. « Et ne voyez pas ma démarche comme une invitation à venir vous faire payer en venant chercher l’argent sur moi… »

« Pour le partir d’ici au plus vite… », dit Kora précipitamment en attrapant son poignet, « je crois que nous n’aurons de toute façon pas beaucoup le choix. Venez ! », acheva-t-elle en l’entraînant à sa suite vers le fond de la cantina. Son sourire amusé avait disparu laissant place à une réelle concentration déterminée tandis que ses sens repéraient des quatre coins de la salle des individus à l’air peu recommandable se dirigeant assez rapidement dans leur direction. La porte d’entrée principale était bloquée par un trio de gotals qui s’en prenaient à un pauvre advozse qui devait faire la moitié de leur traille, il leur faudrait donc emprunter la porte de derrière s’ils voulaient sortir de là aussi discrètement que possible et disparaître.



La métisse s’était à nouveau fourrée dans un réel guêpier et cette fois-ci elle l’avait sans doute cherché. Même en se montrant discrète elle attirait déjà suffisamment les ennuis en général, ce qui allait de paire avec le fait d’être dans le milieu des contrebandiers mais aussi celui d’être une petite twi’lek. Assis au fond d'un box en compagnie de deux duros, un sakiyan la fixait dans la pénombre. Elle pouvait sentir son regard intense sur elle et savait qu'il n'était pas chargé de bonnes intentions même s'il restait immobile contrairement à ceux qui le poursuivaient à présent.

Pour passer ils durent faire preuve d'un peu de violence et jouer des coudes. Surpris à leur passage un togorien immense se retourna un peu rapidement, une de ses pièces d'équipement frappant à la tête la jeune femme qui se retrouva légèrement sonnée tout en poursuivant son avancée vers la porte de derrière de la cantina, leur seule échappatoire. Un mince filet de sang commençait à couler le long de sa tempe. Ignorant la douleur piquante, elle leur fait passer une première porte et se retrouve dans une pièce avec un escalier menant à la cave.

En face se trouvait la petite porte de service  qui menait à l'arrière du bâtiment. Ce fut celle-ci qu'ils empruntèrent pour se retrouver dans la rue. L'air s'était nettement rafraîchi et la nuit était tombée sur la petite ville marchande, plongeant l'endroit dans une relative obscurité. La twi'lek ne s'arrêta pas pour autant. Sans se rendre compte qu'elle tenait toujours fermement le poignet de l'homme, elle l'entraîna dans les rues de Mos Espa pour se perdre parmi les rares passants passant qui étaient encore de sortie à une telle heure.

«  Du calme », intima le pilote en ralentissant leur course et en libérant son poignet toujours agrippé par la petite main de la twi'lek. « Tu es blessée », constata-t-il avec une pointe d'inquiétude dans la voix. « Viens par ici ». Il l'entraîna alors dans une petite ruelle et la fit s'asseoir sur une caisse. Une main sur son menton, il lui fit tourner la tête tandis qu’elle le fixait de son regard clair, intriguée. Elle profita ainsi de ces quelques instants d'observation pour le détailler à son tour : une belle gueule à la mâchoire carrée, des cheveux châtains soigneusement décoiffés, une allure de mauvais garçon doublée d’un petit air malicieux. Pourtant lorsque leurs regards se croisèrent elle put y lire quelque chose qui lui serra le cœur… Il y avait quelque chose d'autre chez cet homme, derrière cette attitude cool et décontractée. Ce regard, cette crispation légère, elle les connaissait bien, c'étaient ceux d'un homme tourmenté, un homme qui avait beaucoup perdu.

« Ça ne me semble pas bien grave. », conclut-il après l'avoir un examen rapide. Quelques instants après qu'il l'ait retiré, la jeune femme pouvait encore sentir la chaleur de celle-ci sur son visage. Il avait sorti un morceau de tissu pour éponger le liquide poisseux sur sa tempe. Surprise par ses gestes doux et sa sollicitude, Kora ne put s’empêcher de sourire. Loin de l'aspect rugueux de bon nombre de pilotes de sa connaissance il faisait preuve d’une réelle prévenance en s’inquiétant ainsi pour une inconnue. « Malheureusement, je n’ai rien pour désinfecter. J’espère que vous avez ce qu’il faut sur votre Grayson !  » « Ne vous en faites pas, ce n'est pas une égratignure qui m’arrêtera », lança-t-elle, toujours souriante. « Il en faut plus pour me mettre à terre. » Elle lui fit un clin d’œil. Ce n’était pas de la bravade, elle n’avait même pas réellement mal, ne sentant que des picotements et un léger étourdissement.

Consciente du regard pénétrant fixé sur elle, Kora s'appliqua à prendre un air désinvolte et se releva énergiquement, indiquant ainsi qu’elle était prête à repartir. En se redressant elle remarqua soudain une chose qui ne l’avait pas frappé jusqu’à présent, trop prise dans l’action ; elle paraissait encore plus petite face à cet homme à la stature nettement plus haute que la moyenne et qui la dépassait d’une bonne tête. Des cris indiquèrent que leurs poursuivants les avaient bientôt rattrapés. « Oh-oh. Dépêchons-nous, je vous suis ! », Kora ne se fit pas prier et partie en direction du hangar dans lequel se trouvait le Grayson tout en échafaudant un plan d’action. Des tirs de blasters retentirent et l’un manqua de peu le pilote. « Ils en veulent à mon corps j’en suis sur ! », lança l’homme tout en se jetant à couvert, rapidement imité par la twi’lek.

« Je vais avoir besoin de vous en entier pour piloter ! Vous ne voulez pas aller faire chauffer les moteurs ? S’ils sont plus nombreux, ça va devenir compliquer de filer ! » La métisse avait eu visiblement la même idée car elle avait ouvert le comlink de son ordinateur de poignet. « Capitaine, nous avons un problème... », commença la jeune femme sur un ton sérieux car elle savait que celui-ci n’appréciait pas spécialement qu’elle se régale un peu trop de ce genre de situation. « Que se passe-t-il Kora ? » « Tout le monde est à bord ? » « Adenn est encore à l’extérieur. Mais Kora que …? » Les tirs de blasters rendaient la discussion de plus en plus difficile. « Pas le temps d’expliquer. », le coupa-t-elle précipitamment. « Pouvez-vous faire en sorte que le Grayson soit prêt à décoller rapidement pour une évacuation d’urgence ? » Et sans même attendre la réponse elle coupa le comlink pour se concentrer sur la situation présente.

Le mystérieux pilote avait sorti ses blasters et après avoir lancé une salve de tirs précis, une explosion retentit et deux des trois hommes furent bientôt à terre, visiblement morts. Voyant cela, le troisième type ne demanda pas son reste et préféra prendre la fuite. Kora déglutit. Elle était trop habituée pour être horrifiée par ce genre de scène mais cela ne la mettait pas non plus spécialement à son aise. Elle préférait de loin les négociations pacifiques aux solutions plus violentes qui impliquaient de jouer de la gâchette. Une bonne chose – si cela en était une – était que les hommes n’avaient pas tiré dans sa direction, aussi de explications se présentaient à elle : soit ils en avaient vraiment après le pilote, soit ils étaient là pour la récupérer ; il semblait donc qu’ils la voulaient donc vivante et lui mort.

Dans un cas comme dans l’autre cela n’arrangeait pas ses affaires et si elle voulait espérer un paiement elle avait tout intérêt à faire en sorte de le garder en vie, même si elle n’y voyait dans ça pas non plus qu’un intérêt financier...  « On y va ? », lança-t-il en rangeant ses blasters. « Ne traînons pas trop quand même, il pourrait aller chercher des potes à lui » Kora approuva d’un signe de la tête. « Et franchement, je ne veux pas savoir ce que pourrait me faire un Hutt excité… » La jeune femme cacha un léger frisson à cette dernière réplique et en se relevant un peu vite, prête à reprendre leur course vers le Grayson, elle fut prise d’un vertige.



Le pilote la rattrapa juste à temps avec qu'elle ne tombe, retenant le petit corps dans ses bras sans la moindre difficulté. Sans doute avait-elle un peu sous-estimé le traumatisme  subit par le choc qu'elle avait reçu à la tempe. A présent elle se retrouvait dans ses bras. Le monde avait cessé de tournoyer mais ses jambes étaient toujours molles. « Donnez-moi une minute... », lâcha-t-elle dans un souffle à mi-voix, tout en esquissant un sourire mi-gêné, mi-satisfait de la situation, ses yeux clairs écarquillés tant leurs visages étaient proches à présent.

« Pas le temps. Si on ne bouge pas, on crève. Du moins, si on y passe, je n'aurais pas de regrets. » Il avait rattrapé la jeune femme dans un réflexe quand les genoux de celle-ci avaient menacé de flancher et il ne lui laissa pas plus le temps de réagir lorsqu’il la prit dans ses bras, la soulevant sans difficulté comme si elle ne pesait rien. Ils étaient à présent face à face, les yeux dans les yeux, leurs visages plus proches que jamais… Et ce fut pour lui semblait-il l’occasion idéale pour lui voler un baiser. Il était d’autant plus difficile de protester lorsque des lèvres fermes s’écrasaient contre les siennes mais la twi’lek avait déjà bien du mal à cacher le trouble dans lequel la plongeait ce contact.

Sans plus attendre il repartit au pas de course, la portant toujours contre lui. De l’expérience elle en avait, dans de nombreux domaines ; elle avait vécu de nombreuses choses déjà malgré son jeune âge, elle connaissait nombre de façon de séduire et de plaire, d’allumer le désir chez les hommes – comme chez les femmes d’ailleurs, de manipuler son entourage s’il le fallait… Mais c’était bien la première fois qu’un homme la prenait ainsi dans ses bras. Peut-être était-ce la raison à l’origine de son trouble ? La situation ne lui plaisait pas totalement, elle ne se sentait plus dans la maîtrise et un part d’elle commençait à en être perturbée. Après tout, Kora était une femme fière et indépendante, elle n’attendait pas après qui que ce soit pour venir la sauver et avait très bien réussi par le passé à se sortir seule de nombre de situations délicates.

De manière à revenir un peu en contrôle, Kora ne resta pas passive et lui indiqua activement la route à prendre par des signe et paroles brèves. Elle pouvait sentir qu’en effet d’autres hommes étaient à leur poursuite et qu’il n’aurait pas été bon de trop s’attarder.  Arrivés près du hangar dont le sas principal était fermé, elle pointa une petite porte le long du mur de terre. «  Par là ! » Il la déposa délicatement et si elle fut en partie soulagée de pouvoir de nouveau se déplacer par elle-même, cette chaleur de ce corps contre le sien lui manquait déjà. « Ça ira ? » Elle lui répondit d’un signe vigoureux de la tête et se dépêcha de s’atteler à l’ouverture de la porte sécurisée pour cacher son trouble.

La porte ouverte, ils pénétrèrent enfin dans le hangar à ciel ouvert et le magnifique Grayson se dévoila à leurs yeux. Kora ne put s’empêcher de sourire fièrement, même si la luciole ressemblait plutôt à un tas de ferrailles et sans ses moteurs flamboyants allumés avait, il fallait le dire, piètre allure. Mais la pilote n’avait absolument aucune objectivité au sujet de ce vaisseau qu’elle aimait farouchement et elle était la première à défendre qu’il ne fallait pas se fier aux apparences et d’autres tas de ferrailles tels le Faucon Millenium l’avaient vaillamment prouvé au cours de l’histoire.

« Je n’y crois pas… », commença l’homme qui l’accompagnait, visiblement surpris. «  Sacré Vassian. Le Grayson, mais bien sur que je m’en souviens maintenant !? », en éclatant de rire. Ainsi il connaissait déjà le vaisseau… Il lui semblait qu’avec cet homme, Kora n’était pas au bout de ses surprises. Des tirs retentirent et alors que la pilote lui passait devant pour se hâter jusqu’à la grande porte ouverte du sas principal qui donnait un accès direct sur la cale et le pont inférieur, il lui fit une petit tape sur les fesses. Toutes les surprises n’étaient visiblement pas bonnes. Elle se retourna très brièvement pour lui jeter un regard noir. Elle lui ferait remarquer plus tard qu’il y avait des limites à la façon dont il pouvait prendre ses aises… « Plus vite ils arrivent ! »
Ils étaient arrivés jusqu’à la cale lorsque l’homme se retourna. Elle entendit le bruit caractéristique de l’électronique  court-circuité par le tir laser d’un blaster puis d’un hurlement de douleur d’un de leurs poursuivants. Luky Shot. À une telle distance il avait eu de la chance ! Même s’il y avait aussi derrière un indéniable talent. « Sauvés... ! », s’écria-t-il. Kora lui sourit avant de s’éclipser, montant les escaliers qui menaient au pont supérieur. Elle courut jusqu’à la passerelle où se trouvait les commandes et lança sans tarder le vaisseau, s’éloignant autant que possible de la planète. Ils laissèrent ainsi derrière eu les étendues chaudes et désertiques de Tatooine pour plonger dans le froid de l’espace.

Après avoir calculé et rentré aussi rapidement que possible les coordonnées, elle actionna la manette qui permit au vaisseau cargo d’effectuer un premier saut. Les étoiles semblèrent s'étirer et filer à toute vitesse. Le couloir caractéristique de l'hyperespace s’était formé, provoquant un délicieux vertige de diaprures de lumière. Le Grayson était à présent en vitesse supraluminique et à chaque seconde qui s’égrenait, à chaque battement de cœur, ils franchissaient ainsi des distances incommensurables. Lorsqu’ils émergèrent enfin de l’hyperespace se fut pour se retrouver dans un petit système. La première chose qu’ils virent fut une immense géante gazeuse. Kora fit effectuer au vaisseau un micro saut hyperspatial pour arriver de l’autre côté de la géante, près d’une planète aux teintes orangées autour de laquelle aucun passage n’était visible.

Ils étaient toujours dans le secteur Arkanis mais dans un de ces petits mondes à l’écart, là où personne ne penserait les chercher à moins d’avoir un matériel de traque avancé comme en disposé certains chasseurs de prime leur permettant d’analyser les résidus de leur saut hyperspatial et de localiser leur point de chute. Ils reviendraient dans le système de Tatoo pour récupérer le compagnon qu’ils avaient laissé derrière eu lorsque les choses se seront calmées. Après avoir fait les demandes d’autorisation nécessaire, elle mit le Grayson en orbite autour de la petite planète sans affiliation particulière et à la population et aux ressources trop faibles pour intéresser les Hutts comme les Vestiges de l’Empire.

La pilote était soulagée que sa petite luciole ait tenu le coup après un départ aussi rapide. Quelques pièces auraient mérité d’être changées, notamment au niveau du générateur d’hyperdrive et des hyperpropulseurs, pour ne citer que ces pièces-là. Elle était habituée aux secousses du voyage à bord du vaisseau cargo mais ce n’était pas forcément le cas de leur nouveau passager. N’ayant plus besoin de rester aux commandes, elle se décida donc d’aller faire un tour dans le vaisseau pour voir ce qu’il en était. Elle passa par le mess où elle croisa le reste de l’équipage qui l’arrêta pour demander des explications sur sa mésaventure et le capitaine lui indiqua finalement que leur passager, un dénommé Ray, était actuellement dans les quartiers des passagers.

Arrivée près de la porte de la cabine qui lui avait été indiquée, elle frappa puis ouvrit, sans même attendre de réponse. « Ne refaites plus jamais ça ! », lança-t-elle à brûle-pourpoint, sans doute un peu plus froidement qu’elle ne l’aurait souhaité tant elle était encore chamboulée. Les yeux dorés de la petite métisse semblaient être l’expression même des sentiments contradictoires qui l’animaient. Ils jetaient des éclairs de colère, brûlaient d’un désir ardent mais exprimaient également une certaine méfiance vis-à-vis de l’individu qui lui faisait face. Comment cet homme, cet inconnu avait-il pu en l’espace de quelques minutes la perturber à ce point ?

Au mouvement de recul qu’eut l’homme, Kora s’en voulut presque d’être arrivée ainsi. « Promis, je ne le referais plus jamais ! », lança-t-il l’air coupable et choqué. Rapidement, il attrapa quelque chose avant de lui tendre ; il s’agissait d’une barre énergétique et d’une bouteille de bière. Kora le regarda, interdite. Etait-ce pour lui une manière de s’excuser ? « Ou alors j’ai pris trop d’eau chaude ? Désolé désolé désolé ! » Elle fronça les sourcils. Le faisait-il donc exprès ? « Euh… Tout va bien ? » La métisse poussa un long soupir. Elle secoua ensuite la tête, son léger sourire aux lèvres disparaissant progressivement lorsque ses yeux s’arrêtèrent sur le torse nu zébré de cicatrices.

Après avoir refermé doucement la porte derrière elle, Kora s’avança lentement vers le Résistant, ses yeux clairs plongés avec intensité dans les siens. Elle s'arrêta à seulement quelques centimètres de lui, sa tête levée pour continuer à soutenir fièrement le regard de cet homme qui ne la dominait que par sa stature. Toujours en silence, elle laissa courir ses doigts sur les renflements qui marquaient son corps, de simples effleurements qui suivirent sans gêne le contour de ses abdominaux marqués et ces boursouflures. Les cicatrices étaient anciennes mais si nombreuses qu’il ne restait pas un centimètre de peau qui ne soit épargné.

La jeune femme n'en éprouvait pourtant ni surprise ni dégoût. Il fallait dire que ce n’était pas non plus la première fois qu’elle avait dans les yeux un corps aussi torturé. Même si cela faisait maintenant bon nombre d’années, elle se souvenait encore de celui de son mentor qui avait eu le malheur de passer entre les mains de l’Empire. Son corps n’étant plus qu’un amas de chair brûlée et bouffie que même les bains prolongés de bacta n’étaient pu réparer. Il avait également été défiguré, son visage amoché de grandes balafres alors que le visage de l’homme qui se tenait devant elle semblait intact.

Du bout des doigts elle s’en assura, fascinée par ce visage si lisse et parfait. Elle le sentit frissonner sous ses caresses expertes qui se voulaient à la fois douces et apaisantes. Ses mains redescendirent le long de ses joues, caressant les traits fins du dos de ses doigts avant d’arriver à sa bouche dont elle en dessina lentement les contours. «  Je sais  qui vous êtes... », commença-t-elle à voix basse, une main posée sur sa joue. « Et j'ai ma petite idée sur quel genre d'homme se trouve devant moi... », continua-t-elle, douce et sensuelle en faisant descendre un doigt de sa main libre le long de son cou. « Mais je doute que vous sachiez encore quelle femme je suis... Aussi la prochaine fois que votre main s'approchera de mes fesses de cette manière, tâchez de vous en souvenir. »

Son ton n'était ni agressif ni menaçant mais la mise en garde était bien là. Il n’y avait également aucun apitoiement dans son regard brûlant. Elle ne lui demanda même pas qui lui avait fait cela, elle n’avait pas besoin de savoir. Tout cela était dans le passé, comme ses propres cicatrices qui elles n’étaient pas visibles mais bien présentes. Un corps comme celui du pilote n'était à ses yeux ni honteux ni répugnant, c'était celui d'un survivant, et cette expérience l'avait forgé en cette personne qu'il était aujourd'hui, cette personne qui se tenait actuellement devant elle. Elle comprenait d'une certaine manière son brin de folie. Il était parfois plus facile d'abandonner la raison...

« Alors c’était donc ça… Je m’en excuse platement en ce cas, le feu de l’action… » Elle esquissa un petit sourire contrit et fit retomber ses mains lentement en une caresse qui s’acheva le long de son torse. Leurs corps étaient à présent si proches l’un de l’autre… L’atmosphère autour d’eux était électrique et la température de la pièce semblait avoir grimpée de quelques degrés. Soudain il leva la main pour effleurer sa tempe blessée. « Vous auriez du vous désinfecter… », déclara-t-il, l’air inquiet. Les battements de son cœur s’accélérèrent à ce léger contact. Elle adressa un nouveau sourire à cette remarque, pleine de sollicitude, pourtant aucun des deux ne sembla se rapprocher davantage et le temps restait comme suspendu.

« La vie m’a malheureusement apprit une triste vérité. L’on apprend à connaître les gens de deux manières. Une douce où la parole est maîtresse, ou la manière forte où l’on apprend dans sa chair qui est cette personne en face de soi. L'une n'étant pas plus désagréable que l'autre. » Il caressa sa joue avec un sourire tandis que son autre main se posait près de sa hanche. Même si elle continuait à faire preuve de retenue, les pupilles de la twi’lek se dilatèrent et son souffle s’était accéléré de manière à peine perceptible. « Apprenez m’en plus sur vous dans ce cas… de la manière dont il vous plaira… Je n’aime pas… Imposer mes choix. »

Toujours sans le quitter des yeux elle s’humecta les lèvres, mordillant légèrement au passage sa  lèvre inférieure de façon sensuelle. Puis elle afficha un sourire joueur. «  Vous parlez trop... », fit-elle en lâchant enfin un petit rire. Elle se haussa sur la pointe et prit ses lèvres dans les siennes avec une habile lenteur, le réduisant au silence. Elle passa ensuite une main à l’arrière de sa tête, ses doigts graciles plongeant dans sa chevelure encore humide. Ils se mirent alors en phase et se rapprochèrent, son corps brûlant se pressa contre le sien.

Elle se retenait encore, elle ne se donnait pas encore entièrement, attendant qu’il soit le premier à perdre le contrôle et se réjouissant de ses petits jeux sensuels. Après tout, n’avait-elle pas été formée pour être une experte dans l’art du divertissement, de la séduction, et de l’érotisme ? Elle avait rejeté cette profession bien entendu, même s’il n’y avait aucune honte à faire partie d’une guilde aussi respectée. Fascinantes et envoûtantes, les Compagnes savaient cultiver le mystère et faisaient beaucoup parler d’elles. Leur véritable rôle était cependant souvent bien mal compris. Certains allaient même jusqu’à les comparer à des courtisanes qui vendaient leur corps au plus offrants, à de vulgaires prostituées de luxe.

Chez les Compagnes l’érotisme n’était pas dégradant ni même un vice, ce n’était pas une perversion mais il était élevé au rang d’art, il était célébré. L'entraînement incluait donc par exemple la grâce physique et sociale, une pratique artistique et la psychologie. Lorsqu’une Compagne arrivait par ses danses, ses chants ou les divers jeux qu’elle imaginait, à créer une ambiance festive, elle devenait une véritable source d’inspiration. Elle n’était en aucun cas contrainte de se soumettre à l’acte. Allumer la flamme sans consommer le désir, voilà ce qu’il en était en réalité. Mais cela restait l’art de donner du désir et du plaisir avant tout, pas d’en recevoir soi-même. Il fallait satisfaire les autres et si une compagne libre pouvait choisir ses clients, il n’en était pas de même pour une esclave.

Kora n’avait commencé à apprendre ce que signifiait cette liberté qu’après la mort de son mentor, Varek Grime. Sa vie de chasseuse de primes était terminée, ou presque, et elle apprenait à survivre dans les bas-fonds de la planète-cité de Coruscant. Il lui fallut du temps pour réussir à se rapprocher de nouveau des hommes, aussi passait-elle plus de temps avec les femmes à cette époque. Elle recherchait de la chaleur, une forme d’épanouissement personnel, mais en aucun cas les attirances qu’elle avait ressenties ne s’étaient transformées en attachement plus profond, et peut-être était-ce mieux ainsi.

Car si cela devait arriver un jour il valait mieux que la personne en question soit prête à explorer l’univers avec elle et risquer sa vie au quotidien. Sans parler de pouvoir vivre à bord de ce vaisseau qui était en réalité son premier et seul amour à l'heure actuelle. Mais elle n’y pensait pas vraiment, étant heureuse et satisfaite de la vie qu’elle menait aujourd’hui, vivant pleinement le moment présent comme en cette heure où les étincelles du désir crépitaient dans l’air…