La Force.

C'était une énigme, une inconnue dans l'équation qui permettait à Triss de comprendre les choses, un facteur qui lui échappait, à sa grande frustration. Un sujet tabou aussi, dans cet Empire où les seuls détenteurs avaient été un duo de siths dont l'enseignement semblait se résumer à la puissance de la Force. Jamais Triss n'avait pu consulter les archives à ce sujet, ce qui n'avait pas été détruit était à un niveau de confidentialité hors de portée d'un simple Lieutenant, aussi assidue qu'elle puisse être. Seul lui restait les rumeurs, les légendes, certains souvenirs de recherches morcelées et de rapports confus datant de son adolescence, sur Csilla. La Force, cette énergie dont le terme en cheunh était si peu employé que certains ignorait même qu'il existait un mot pour le définir.

Un mystère pour elle, une réalité pour lui.

Triss observait Seth, une lueur nouvelle dans le regard. Emplie, ni d'animosité, ni de méfiance, ni de dévotion, ni de pitié, ni de crainte, juste de la soif d'en apprendre enfin un peu plus, de la bouche de quelqu'un qui vivait avec la Force comme elle vivait avec la vue. Ainsi, il se révélait, lui expliquant son erreur quand elle avait cru qu'il craignait ce qu'il était, non, elle le comprenait à présent, combien c'était ancré en lui, combien son apparente maladresse n'était que son ombre, quand il faisait semblant de se détourner de sa nature. Elle ne répondit pas quand il demanda ce qu'il ne comprenait pas, selon elle, car elle comprenait à présent qu'elle avait fait une erreur d'interprétation. Elle le voyait pour la première fois, lui.

Et comprenait désormais mieux son combat, son comportement. Elle comprenait aussi pourquoi il était ainsi, pourquoi sa virulence quand le regard de Triss se faisait trop attentif à ses gestes étranges, pourquoi il souffrait en cachant ce qu'il était. Ce qu'il devait cacher, car les utilisateurs de la Force étaient discret, parce que l'Empereur les avait traqués, tous. Parce que les Jedi étaient morts. Parce que la Force semblait avoir disparue. Se cacher, se fondre dans la masse, pour quelqu'un comme lui, si singulier, la Force palliant à ses faiblesses, la Force le trahissant parfois, quand dans l'ivresse du combat Triss avait vu soudain ses gestes changer, se mouvoir naturellement, sembler, soudain, à sa place, avant de se reprendre, retrouver son camouflage et ses mouvements gauches.

Là, elle se tenait face à lui, l'écoutant en silence, la tête légèrement inclinée, le regard luisant de cette lumière particulière de quand toute son attention était focalisée, passionnée. Elle l'écoutait comme à l'époque où, jeune officier de surveillance de la flotte chiss, elle avait capté les premières communications impériale, mettant à l'épreuve ses faibles connaissances de basic pour appréhender un monde dont elle ne connaissait que des bribes distantes, avec, au fond, déjà le rêve de s'en approcher, de le comprendre, de le vivre.

- L'équilibre… Répéta-t-elle dans un souffle, en écho.

Ce mot semblait prendre un sens différent dans sa bouche. Pour Triss, l'équilibre était une recherche intérieure, introspective mais qui ne concernait qu'elle et elle seule, mais Seth, de par cette liaison avec la Force, vivait ce qui allait au-delà de lui-même. Elle comprenait, maintenant, pourquoi ses décisions lui échappaient, l'exaspérait même, si souvent, mais que pourtant elle lui pardonnait, toujours, respectant ses exigence, comme si elle sentait que ses raisons n'étaient pas de l'ordre du caprice ou de la sensibilité. Il y avait une raison à tout cela. La Force ? Mais qu'était-elle, une guide ? Etait-elle l'équilibre ? Etait-elle la puissance ? Etait-elle l'harmonie ? Etait-elle le chaos ? Etait-elle tout à la fois ?

- Tu serais fous, je ne t'écouterais pas.

Elle n'avait que peu l'oreille aux élucubrations des déments. Seth n'en était pas un. Elle le sentait surtout seul ; un peu comme elle, au final. Deux esprits ne cherchant qu'à s'exprimer sans trouver le reflet dont ils avaient besoin, elle, par respect de ses engagements, lui, par ce secret. Elle sera légèrement la mâchoire, se confier à elle, il le faisait, sans savoir pourquoi mais sachant pourtant ce que cela impliquait. Elle, l'impériale, celle qui vivait pour l'Empire, qui mourrait pour l'Empire. Elle qui n'avait pas l'autorisation de garder cela pour elle. Elle que sa curiosité allait une fois de plus pousser trop loin.

- Qui peut bien être assez bête pour te penser idiot ? Même moi, je n'oserais te rabaisser, même quand ce devrait être mon devoir. Mais peut être es-tu inconscient de dire ça, à moi. Ou cruel, car tu sais que je ne peux que comprendre ta volonté d'équilibre, je l'ai toujours respectée, maintenant plus encore. Je ne veux pas te nuire Seth. Pas plus que je ne veux avoir à mentir, encore.

Elle se demandait s'il réalisait dans quelle position, une fois de plus, il la plaçait : le protéger, une fois de plus, le couvrir une fois de trop. Elle voulait en savoir plus, toujours plus, mais désormais elle devait s'imposer des limites avec lui, pour ne pas lui nuire. Mais peut-être était-il trop tard. Elle passa une main sur son front, soucieuse autant que partagée. J'aimerais être l'épaule dont tu aurais besoin, mais je suis ce que je suis. Tu fais de moi un danger pour toi. Devait-elle, désormais, s'attendre à ce qu'il tente réellement de l'éliminer ? Devait-elle s'éloigner, dès maintenant, avant qu'il n'agisse contre elle ? Le dénoncer. Oui, là était son devoir, celui envers l'institution qu'était l'Empire, elle, devait-elle se plier à l'équilibre, à la Force, à lui ? Les sentiments étaient une faiblesse, mais en cet instant, ce n'était pas son amitié qui la faisait hésiter. C'était ça, la Force, si Seth en était la voix, alors quelles seraient les conséquences si elle, Triss, y faisait ostensiblement obstacle ? Aucune ligne dans le manuel impérial, ni aucun d'ailleurs, ne l'avaient jamais préparée à ce genre de décision. Il n'y avait aucune réponse.

- Je n'ai aucune solution, ni pour toi, ni pour moi. Lâcha-t-elle, enfin, d'un ton vibrant d'une colère contenue, seule réaction face à ce déchirement interne, être son besoin de savoir et son devoir, envers lui, envers l'Empire, envers cette Force qu'elle ne pouvait comprendre.

Presque naturellement, elle sentit ce souffle sur son visage, ses épaules, et comprit d'instinct que ce n'était pas le vent. La main de Seth, levée vers elle, en attestait : il était à l'origine de cette sensation curieuse. Une démonstration, ici et maintenant. Triss ne recula pas, fichue curiosité, fichue volonté de savoir, car elle se disait presque qu'il ne lui nuirait pas. Pas tout de suite. Avec une certaine fascination, elle sentit ses cheveux se défaire, elle considérait la précision que nécessitait une telle manœuvre, à quel point une telle manipulation, avec ses gestes tel qu'elle les lui connaissait, aurait été complexe pour lui, mais qui semblaient là, avec la Force, bien plus habile que ses mains physiques. La Force le complétait, elle pouvait le constater, mais fronça légèrement les sourcils, sa méfiance revenant très vite, voyant le regard de Seth se faire plus sombre.

Et la sensation devenir oppressante. Triss se raidit à ses mots mais déjà elle était piégée, déjà, l'emprise se transformait en une poigne sur sa gorge, encore légère, mais bien réelle. Elle ne bougea pas, mais sentit affluer en elle une puissante colère. Envers elle-même et sa curiosité, envers lui qui la menaçait, ouvertement. La tuer… Elle serra les dents, se forçant au calme. Il voulait lui prouver son emprise, soit, mais elle refusait de céder à la panique, pas même alors que son air se raréfiait, que la poigne devenait douloureuse, qu'elle avait déjà porté ses mains à sa gorge dans un réflexe naturel pour se défaire de cette main inexistante. Elle ferma les yeux, la colère faisant battre son cœur mais ne troublant pas le peu de souffle qu'elle parvenait à garder, lent, ample, à peine suffisant pour ne pas perdre connaissance, elle devait le conserver précieusement, jusqu'à ce qu'il se décide à la couper de tout air, qu'elle semblerait perdue. Là, seulement, elle frapperait, car frapper maintenant serait prévisible.

Seul restait la colère, toujours, et l'adrénaline en réponse physique à une menace pour sa vie, qui menaçait de troubler son esprit, en lutte contre sa raison, sa froide logique qui la rendait d'apparence indifférente à sa propre survie. Il voulait qu'elle le cache et elle voulait comprendre, ces deux volontés constituait deux énergies sans doute aussi puissantes et inébranlable que celle qui lui enserrait la gorge.

Pourquoi était-ce possible ? De quelle manière la volonté du chasseur pouvait-elle se transférer au-delà de toute norme physique, avoir une incidence sur elle, ou sur toute autre chose. Comment une énergie pouvait avoir un impact sur la matière, que certaines matières, certains organismes, agissaient dessus, mais pas d'autres ? Pouvait-elle s'en protéger ? La repousser ? La manipuler avec suffisamment de volonté ? Trop de question pour son esprit agile mais pour le moment forcé au minimum d'air. Elle rouvrit les yeux, les plantant dans ceux de Seth, un regard de bravade, non, elle ne serait pas prête à mourir, ni aujourd'hui, ni un autre jour. Pas plus qu'elle n'était prête à accepter de ne pas comprendre. Elle mourrait en essayant de comprendre, ça oui, mais jamais elle n'accepterait l'ignorance. Quand bien même son affection pour lui était grande, elle ne se laisserait pas tuer. Alors elle devrait vivre, vivre pour comprendre, vivre pour s'en protéger.
Il suffisait d'un instant, l'instant où il la penserait à court d'air, où elle serait au bord du gouffre, pour déchainer un geste, un seul, précis. A bout portant, il n'aurait aucune chance, même avec ses talents. Elle le tuerait s'il décidait de la tuer. Et cette décision approchait, car il était tout proche et elle, elle sentait son corps se soulever, sa tête bourdonnait, le sang semblait vouloir faire exploser ses tempes. Une seconde de plus, sinon deux, au plus tard. Elle prépara ses muscles.

Et sentit l'air lui revenir, la pression s'atténuer pour ne laisser que le souvenir du contact, les bras de Seth la retenant, comme oubliant la violence de son acte. Elle inspira longuement, calmement, avant de se dégager de ses bras, fermement, et de planter vers lui son regard le plus flamboyant. Ne refais plus jamais ça, botmun'i... Siffla-t-elle. Si tu veux de ma protection, je chercherais dans quelle mesure je le pourrais sans briser mes engagements. Mais je refuse de le faire sous la menace, qu'elle soit volontaire ou pure fanfaronnade…

Elle se massa la gorge, lentement et sans montrer le moindre signe de douleur, sa voix forcée, déformée, était déjà de trop. Elle toussa, brièvement. Ces pouvoirs, celui-ci en particulier, elle le connaissait de réputation. Quel officier impérial n'avait-il pas entendu des rumeurs à son sujet, au sujet de Vador et de ses moyens de pression, de menace ou de punition ? Elle se rappela Hoth, elle se rappela la crainte quand les vaisseaux rebelles avaient échappés. Pourtant elle n'était pas morte ce jour-là, au contraire, on l'avait remerciée, promue… Mais la menace restait, la peur aussi.

- Es-tu un sith ?

HRP:

La gorge brûlante et le souffle encore erratique, elle gardait sur lui un regard étincelant, à l'image de la colère qui courrait dans ses veines. Le tuer n'était probablement pas la solution, mais il devait comprendre qu'il ne pouvait jouer avec elle ainsi. Elle avait le choix. S'il ne comptait que sur les sentiments amicaux de la chiss envers lui ou sur son respect pour la Force, il prenait un pari risqué, car le devoir ne connaissait pas d'état d'âme. Chez un esprit humain, peut-être que l'affection représentait un motif suffisant pour tourner le dos à ses engagements, mais dans la mentalité chiss, c'était impensable, irrationnel et preuve de stupidité. Elle l'appréciait, elle l'appelait frère, elle appréciait ses talents et désormais le parait de cette fascination qu'était l'inconnue représentée par la Force, mais il aurait été bien naïf de penser que l'affection ou la crainte puisse entrer en ligne de compte, si elle devait prendre une décision contre lui.
Dépendait de Seth de ne pas lui donner de raisons de se défier de lui. Il la provoquait, encore et toujours, de toute son assurance et de sa prestance qui se découvrait soudain, à la lumière de la Force. Il pensait savoir tout d'elle, de ses réactions, mais agissait face à elle comme face à une humaine. En cela, il se montrait plus insultant qu'en tournant sa question en dérision.

- Ris-en donc, pourtant tu agis comme il l'aurait fait. Remarqua-t-elle, se massant ostensiblement la gorge.

Les sith n'étaient que légendes avant l'avènement de Palpatine et Vador, les jedi avaient vu leurs dogmes et leurs préceptes oubliés, Triss ne connaissait par conséquent que des mythes sur la Force et ce qui la constituait. Les sith étaient maître du "côté obscur", ce qui avait peu de sens pour la chiss qui n'avait que des notions succinctes et artificielles du "bien" et du "mal", mais elle était presque certaine d'une chose : le pouvoir à l'origine de cette poigne ne faisait assurément pas partie des arts jedi. C'était bien trop offensif, à but de faire souffrir, de menacer, de tuer. La question qu'elle lui avait posée, elle était sérieuse et n'aurait pas marqué la moindre surprise si Seth lui avait répondu que, oui, il était un seigneur Sith.

Mais il semblait exister un autre plan de réalité, autre que jedi ou sith, celui dont il se revendiquait. Elle écoutait avec attention, pesait chacun de ses mots. On l'avait entrainé, une flamme dangereuse brilla dans ses iris de braises alors qu'elle posait une hypothèse, une autre. Il faisait une distinction aussi, n'utilisant pas ce qu'on lui avait appris pour tuer, comme il le faisait, pour les primes, pour vivre. La Force, il ne l'utilisait pas pour ces sombres besognes, il la cachait, au contraire ; même pour se mouvoir il ne l'utilisait pas, et ce même si cela lui offrait une liberté de mouvement dont la nature semblait l'avoir privé. Curieux. Mais en accord, oui, avec ses sempiternels principes.
Irrationnel.
Mais moraux. Et plus il parlait, plus elle sentait l'écho d'une autre personne, un être qu'elle connaissait sans le connaitre, par réputation, par ce qu'il avait infligé à l'Empire, par cette quête acharnée menée par Vador, par cette colère qu'elle avait vu quand il s'était avérer introuvable, après Hoth. Skywalker, était-ce lui, derrière Seth ? Faisait-il partie de ces jedi prétendu tous morts sur Yavin ? Jusqu'à quel point cette hypothèse était vraisemblable… L'avenir et l'observation le lui diraient. Le demander directement n'était assurément pas la bonne approche, elle devait, pour le moment, jouer encore selon les règles de Seth. L'apprivoiser comme l'être sauvage et complexe qu'il était, appréhender ses règles. Comme si tout ceci était du plus grand naturel, elle ramassa sa pince, lissa ses cheveux avant de les rattacher sommairement.

- Tu l'as dit toi-même, je franchis les limites. Je pose trop de question et je continuerais d'en poser, tant que je ne m'y serais pas encore familiarisée. Je suis ce que je suis, moi aussi. Répliqua-t-elle d'un ton ferme. Je ne crains pas les mots, mais je peux éviter celui-ci avec toi si tu le désires. Reprit-elle, plus diplomate.

Quand elle avait signé pour confier sa vie à l'Empire, elle savait qui le dirigeait, elle avait pour eux un respect, une admiration : Palpatine voulait une galaxie puissante et en cela, elle y croyait. La crainte n'avait jamais été un moteur pour elle, elle était présente, comme tout être possédant un instinct de survie, elle savait ce que décevoir signifiait, mais le désir du travail bien fait l'animait toujours bien au-delà de la crainte du travail échoué. Elle pouvait se permettre de ne pas craindre, c'était les personnes et non leur titre qui pouvaient lui nuire. Mais pour Seth, lui qui vivait avec la Force, ce que représentait ce mot avait un sens plus viscéral, plus réel, donc elle n'avait pas à se soucier, contrairement à lui.

A ses yeux, tout utilisateur de la Force pouvait se révéler aussi nocif qu'un sith, alors pourquoi craindre ce mot plutôt qu'un autre ?

- De quelle protection pourrais-tu bien avoir besoin de moi ? Tu peux tuer une personne sur ta simple volonté, n'étais-ce pas ce que tu as voulu me prouver ?

Elle se retint de réitérer ses menaces, lui suggérer de ne pas la provoquer de nouveau, ne pas lui donner les raisons qui la pousseraient à lui nuire quand elle acceptait une prudente neutralité. Mais face à lui, son imprévisibilité et le rappel de sa gorge douloureuse, la Chiss estimait plus prudent de ne pas insister pour aujourd'hui.

- Sois prudent, j'ai un respect pour la Force en général, toi en particulier, mais ça ne sera pas le cas de tout le monde. Conclut-elle.

Sur un dernier regard vers la haute stature de l'humain, elle esquissa tout de même un sourire, très léger, à peine marqué. Puis elle se détourna, s'éloignant d'un pas calme, pourtant jusqu'au bout de la rue elle resta tendue, comme si elle s'attendait à ce qu'il change d'avis, qu'il l'attaque.
Pourtant, elle rentra sans encombre à la caserne où elle médita longuement sur ces nouvelles données. Seth, la Force, les Jedis… Et cette intuition qui le lui affirmait, comme une évidence : ce n'était là que le commencement.