C'était bien la première fois que Triss se faisait payer un verre par l'ennemi… A un point tel que la notion d'ennemi, entre Tuiren et elle, se faisait chaque heure un peu plus floue. Seul semblait rester le droïde pour leur rappeler leurs statuts respectifs par ses piaillements dont elle devinait le sens fort peu élogieux. Elle n'en tenait pas rigueur, l'astrodroide devait être le seul encore un peu réaliste dans leur fine équipe. Triss remercia le résistant en prenant la boisson, occultant volontairement le côté surréaliste de la scène : elle venait juste de dire "merci" à un résistant qui lui offrait un verre. Tout. Etait. Normal. Désormais de retour à la civilisation, le malaise lié à la conscience de leur situation s'immisçait tout doucement. Elle avait aidé un résistant, certes, pas à l'encontre de l'Empire, ce n'était pas une trahison à proprement parler, en tout cas ce n'était pas une faute susceptible de la faire passer en cour martiale, elle n'avait pas vendu de secret de l'Empire ou aidé à une frappe rebelle, elle ne l'avait juste "pas tué". C'était plus un dilemme d'ordre moral, même si c'était le sens de l'honneur qui l'avait fait payer sa dette en venant à son aide. Même s'il n'y avait objectivement rien de blâmable, si ça s'apprenait c'était sa réputation et sa crédibilité qui pourrait en pâtir, surtout chez ceux qui ne la connaissaient pas du tout. L'officier alien qui fait ami-ami avec l'ennemi… Ce n'était pas aux yeux de ses équipiers habituels qu'elle serait blâmée, ceux qui la connaissaient savaient qu'elle n'agissait jamais par impulsion, par émotions ou faiblesse, et que si elle avait agi ainsi, ce serait pour une bonne raison. Mais les autres... Non, dans son intérêt, elle devait effacer la partie où elle était venue en aide à Tuiren, tout simplement. Elle le passerait sous silence car mentir ouvertement lui était impensable : une fausse information sciemment laissée dans un rapport, pour le coup, serait autrement plus blâmable que d'avoir défini une trêve avec un ennemi pour leur survie respective.

- Ce qu'on a fait c'était la seule alternative censée. Isolés on ne serait probablement pas arrivés jusqu'ici, ni l'un ni l'autre. Je doute que ça nous serait reproché officiellement… mais de là à être bien vu, effectivement… Dit-elle pensive.

Ils étaient revenus au spatioport presque sans s'en rendre compte, coupant quelque peu leurs réflexions sur la meilleure version à donner car Tuiren reçu un appel à bord de son X-Wing. Triss fit un petit signe de tête pour signifier qu'elle comprenait et resta un instant seule, le temps de finir sa boisson, puis alla récupérer ses affaires dans la soute, tout en prenant garde à ne pas apparaitre dans le rayon de l'hologramme. Laissant Tuiren à sa communication, elle se trouva un local de stockage vide où elle se changea pour revêtir sa combinaison impériale en sale état, le flan raidi par le sang séché et laissant apparents les bandages qui couvraient encore ses blessures les plus graves. Elle était déjà parfois rentrée dans état assez critique dans le passé mais rarement à ce point. Une fois de plus, elle songea à la tête que feraient ses collègues en la voyant réapparaitre comme une fleur après que son vaisseau ait explosé, elle retint un rire. L'équipe de secours était probablement en route à présent, cette idée pouvait difficilement la mettre d'avantage en joie. Elle sortit du local et remit les affaire d'emprunt dans la cale du X-Wing, Tuiren avait fini de discuter, sans doute son équipe qui le recherchait. Il le lui confirma dès qu'il revint auprès d'elle.

- Oui. Plus j'y pense, plus je me dis que vu mon état, ça ne serait pas crédible que je fasse croire que je m'en suis tirée seule. Surtout s'ils ont suivi la trajectoire de ton chasseur pendant le crash. Le sauvetage donc, il faudra sans doute le garder, ma capture également… ah… Tu ne parles pas de ça. Comprit-elle en voyant son air amusé et les outils qu'il lui tendait en lui rappelant sa parole. Quelle parole ? La trille furibonde du droïde la lui rappela… le décrasser, elle avait déjà oublié qu'elle lui avait promis un bon nettoyage s'il l'acceptait à bord. Alors, oui. Mais j'ai comme l'impression que lui n'est pas spécialement volontaire. Elle prit malgré tout la boite de bonne grâce et s'accroupit face au droïde. Bien, mon cher ami métallique… Si tu pouvais juste ne plus m'électrocuter, je t'en serais assez reconnaissante. Elle baissa la voix. Un peu de bonne volonté, je crois qu'il n'y en a qu'un seul que ça amuse ici. Dit-elle, prenant un ton plus complice.

Cet argument sembla convaincre le droïde qui se laissa approcher et Triss pu commencer son nettoyage, chose qu'elle n'avait plus fait depuis… Cela devait bien remonter à ses classes quand elle et les autres aspirants devaient se charger des taches parfois bien ingrate pour des futurs officiers, mais qu'elle n'avait jamais vu comme une humiliation. C'était un travail comme un autre et qui méritait reconnaissance, sans doute étais-ce encore une vielle habitude de sa part mais elle avait infiniment plus de respect pour ceux qui décrassaient des machines à la force de leurs mains, que ceux qui passaient leur vies enfermés dans des bureaux à débattre de comment orienter la vie de gens dont ils ne se souciaient pas. Enfant, elle aimait bien bricoler des machines, surtout les vaisseaux en vérité, les droïde n'existaient quasiment pas chez les chiss. Elle avait perdu la main mais réussi néanmoins à donner un aspect bien plus présentable à Rick qui commençait même à apprécier de se faire un peu chouchouter.

- Et voilà, comme sorti de l'usine ! Annonça finalement Triss, plutôt satisfaite du résultat.

Au moins, il avait retrouvé ses couleurs d'origine et ses chenilles étaient débarrassées de toute la boue entravant ses déplacements. Triss se releva, se frottant les mains sur sa combinaison qui n'en était plus à ça près. Je te remercie de ta coopération. Elle se permit même de tapoter gentiment la tête du droïde, puis revint vers Tuiren.

- Le voilà tout propre et aucun de nous n'est mort. Elle leva la tête vers le ciel, bientôt les collègues de Tuiren arriveraient, sans doute, et seraient déjà loin quand une équipe impériale viendrait la cueillir. Elle avait envoyé son appel vers Shaum Hii, le temps que soit dépêchée une équipe, ou que l'appel soit transféré au Vigilent, elle avait fait en sorte qu'ils arrivent à coup sûr quand tout X-Wing serait loin. Du moins, il le fallait. Sinon, pour la version officielle des faits. Je pensais dire que je t'ai faussé compagnie au village des guerrières, ça pourrait fonctionner si personne n'apprend qu'on est arrivés ensemble ici. Je pourrais dire que je suis partie en rancor et que tu as retrouvé ton X-Wing… peut-être même que je t'aurais suivi sans autre moyen de repérer une ville. Qu'en penses-tu ? Dit-elle en s'appuyant dos contre la carlingue du vaisseau.

Leur version commune de cette histoire n'était pas encore bien définie et Triss dû reconnaitre que sa dernière suggestion comportait quelques failles, non pas pour elle mais pour ne pas trop porter le blâme sur le résistant. Entre le crash, le fait qu'il l'avait laissée vivre, qu'elle lui avait "échappé" et qu'en prime il n'aurait pas vu un rancor suivre son vaisseau à basse altitude, même si ce n'était pas la principale préoccupation de l'impériale, autant ne pas trop le décrédibiliser. Au final c'était elle qui s'en tirait avec le beau rôle dans celui de la blessée miraculée qui avait su tirer profit d'un beau geste d'un ennemi.

- Ça me va ! C'est vrai qu'il n'est pas des plus discrets le copain. J'aurais donc trouvé ma route autrement. Lui accorda-t-elle. J'aurais pu simplement obtenir le cap en fouillant au village avant de récupérer le rancor, bien après que tu aies toi-même fuit en X-Wing.

Peut-être que l'histoire du rancor semblait un peu abusée. C'était d'ailleurs amusant comme la partie la plus authentique du récit était aussi la plus incroyable. Mais Triss ne se faisait que peu de soucis à ce sujet : ses collègues avaient l'habitude de la voir se tirer des situations étranges de manière plus étrange encore. A côté de la prise de la base de Belsavis en duo avec l'Agent O'Mahra, ce petit safari à dos de rancor après avoir survécu à un crash sur une planète hostile semblait une promenade de santé.

- Ch'acevi. Vu le trajet et les moyens de locomotions à disposition, c'est la seule façon logique d'expliquer comment je suis arrivée ici en si peu de temps. On va dire que ça ajoutera à mon folklore personnel : Triss, l'holonet en personne, l'alien qui chevauche les rancor. Avoue que niveau légende, ça se pose là. Dit-elle d'un ton songeur. L'holonet en personne, ce surnom ferait si bien sur la porte de son bureau…

Elle lâcha un petit rire à cette idée et reprit la place qu'elle avait décidé sienne : assise sur l'aile du X-Wing. De cette remarque en découla quelques échanges dont la convivialité la surprenait encore. Puis elle ne pensa plus à l'aspect toujours problématique de leur amicalité, pour juste apprécier la nature spontanée et sans fioriture du pilote, ce n'était plus un résistant et une impériale, juste un humain et une chiss que la nécessité de survie était parvenue à rapprocher.

C'est presque avec regret qu'elle entendit la voix du leader de l'escadron de Tuiren annonçant qu'ils arrivaient. Triss observa Tuiren, le visage redevenu aussi impénétrable et indifférent qu'à son habitude, sa façon en somme de cacher la pointe de tristesse qui l'éteignait, au travers de la joie de rentrer bientôt à son tour à bord de son vaisseau. Elle sauta au sol, face à lui, et prit la main qu'il lui tendait. Un geste amical qui venait pourtant signer la fin de la trêve entre deux, d'une certaine manière, car une fois retourner au sein de leurs armées respectives, ils redeviendraient ennemis, tel était leur devoir.

- L'invitation pour Hoth tiens toujours. Répondit-elle d'une voix presque douce quand il évoqua la possibilité de se recroiser.

Même s'il était plus probable que leur prochaine rencontre ait lieu dans l'espace, lui à bord de son X-Wing, elle sur la passerelle du Vigilant, à déterminer comment le détruire, lui et les siens… Elle ne parvint pas à ôter cette idée de son esprit, malgré toute sa volonté, elle appréhendait. Sa volonté n'y parvint pas, Tuiren, lui, y parvint. Dans un geste simple, un que rares étaient ceux qui osaient envers elle, le contact furtif de ses lèvres sur sa joue, comme si… Non, ce ne pouvait pas être intentionnel… Cet andouille de pilote ne savait juste pas viser, ou au contraire savait très bien ce qu'il voulait, à en juger par son air joyeux quand il s'écarta de la chiss qui n'avait pas bougé, toujours figée face à ce type de contact. Les effusions la laissaient toujours déstabilisée, surtout venant d'un résistant, ce qui était sans doute la situation la plus étrange qu'elle n'ait eu à affronter.

- De même.

Son expression désespérément impassible et la neutralité de sa voix étaient volontaires, une sorte de défense contre ces sentiments qu'elle avait l'habitude de repousser, elle fut néanmoins trahie par ses joues qui s'étaient très légèrement empourprées, teintant d'un mauve léger sa peau bleue qui venait démentir l'indifférence qu'elle affichait. Inconsciente de cette petite trahison physiologique, elle s'éloigna du chasseur, quitta la piste et observa, à distance, le X-Wing prendre de la hauteur, de la distance, et disparaitre alors que l'impériale trouvait refuge dans le bâtiment du spatioport. Assise sur un banc, elle ferma les yeux, faisant le tri dans le tumulte invisible de son esprit, se perdit entre la reconnaissance, la colère et l'attendrissement envers le résistant, le traitant mentalement de tous les noms avant de décider, tout en nettoyant son blaster pour s'occuper, que de toute façon il n'y avait aucun risque pour que ce petit interlude ait un jour la moindre suite. Sur ces pensées plutôt rassurantes, elle acheva le nettoyage de son arme, juste à temps pour aller accueillir la navette impériale se posant sur la piste d'où était partit le X-Wing, une bonne heure auparavant.